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Tuyaux 11 février 2022

Témoignage de Richard Abibon

Je suis hypersensible quand quelqu’un m’interprète à ma place. Je ne supporte pas, au point de penser que l’on me tue. En même temps, je sais bien que c’est un délire, on ne va pas me tuer. Cette hypersensibilité m’interroge en ce point de hurlement : est-ce la même chose ? vous allez me dire : ben voui, quand même, quand on vous enfile une sonde dans le zizi, il y a des raisons objectives d’avoir mal. S’y rajoute-t-il ce sentiment d’angoisse venu du fin fond de ma conception ? ou de n’importe quelle autre source rattachée à la castration ? je m’autorise à le penser en gardant toujours mon petit recul de prudence scientifique : jusqu’à preuve du contraire.
Quelqu’un d’autre a-t-il le droit d’émettre une autre vision du berceau psychologique qui m’a porté à la conception ? mais oui, pourquoi pas ? ce n’est que sa vision, après tout. Si elle ne me convient pas, je n’ai qu’à dire : c’est ton opinion sur moi, elle ne me convient pas, je te la laisse. Au lieu de ça, j’en fais une montagne, au point de faire parfois ce que je ne fais jamais : interrompre une personne qui parle. Je lui dis stop, tu n’as pas le droit de m’interpréter à ma place. C’est une attitude qui m’est venue sur le tard, quand l’expérience m’a fait acquérir l’immense valeur du parler de soi. C’est peut-être là où j’y ai recollé ce morceau d’enfance, le rejet de ma mère, afin de lui donner un sens. Sinon je restais devant un inexplicable, c’est-à-dire un rien, une tête d’épingle qui reste à trouer.
Je parle évidemment de la vie quotidienne et non de ce qui se passe en analyse, mais l’analyse n’est-elle pas là aussi pour comprendre le sens de la vie quotidienne, notamment la signification des conflits qui me laissent si souvent épuisé ?
En interrompant quelqu’un qui veut parler de moi, au fond, est-ce que je ne suis pas en train de m’identifier à l’attitude première de rejet de ma mère ? Dans l’étendue du champ de mes relations, je m’efforce évidemment de présenter le visage inverse de celui qui peut tout entendre…sauf ce qui touche au point de hurlement.
Vous me direz que tous les adultes faisant un peu de couture, devenant presbytes, demandent aux enfants ce même service d’enfiler les aiguilles. « Tous les adultes » ne justifient pas l’adulte que je suis qui, pour comprendre, rajoute un sens, éventuellement délirant, à cet acte anodin. Chacun de ces adultes a peut-être sa propre épice à rajouter à la trivialité de la réalité, et c’est bien chacun la sienne. D’autres pas.
J’ai associé cette image à la Escher du point de hurlement à celle de mon visage rouge reflété dans l’écran noir de la télé. Quand on arrête les traitements anticancéreux, le système immunitaire prend le relais en émettant cette forte décharge de fièvre. J’ai failli y passer. Ce n’était pas au même moment que l’implantation de la sonde, mais si mon esprit les a associés c’est qu’il doit bien y avoir une raison. Le fait que je sois revenu à moi comme si j’étais tombé, encadré du visage des personnes qui venaient de me relever, le fait que j’ai été serti par les deux personnes qui me maintenaient pour que la pénétration de la sonde puisse s’opérer, a sans doute fait le lien.
Le lieu où se boucle la boucle, où le premier cri du nourrisson s’harmonise avec le hurlement de la douleur finale.
Ah mieux y regarder, je m’aperçois que je pourrais bien confondre cette tête rouge avec celle d’un nouveau-né.
La boucle qu’il faut achever du dernier coup de ciseau nécessaire à rejoindre le premier, dans la création d’une représentation.

Richard Abibon | site internet | chaîne youtube
 Vendredi 11 février 2022

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Du 8 février au 15 février 2022 il a repris sa plume et publié une série de texte témoignant de ce que lui en tant que Sujet était en train de vivre.

Deuxième point 10 février 2022
Témoignage de Richard Abibon