Je suis hypersensible quand quelqu’un m’interprète à ma place. Je ne
supporte pas, au point de penser que l’on me tue. En même temps, je sais
bien que c’est un délire, on ne va pas me tuer. Cette hypersensibilité
m’interroge en ce point de hurlement : est-ce la même chose ? vous allez
me dire : ben voui, quand même, quand on vous enfile une sonde dans le
zizi, il y a des raisons objectives d’avoir mal. S’y rajoute-t-il ce
sentiment d’angoisse venu du fin fond de ma conception ? ou de n’importe
quelle autre source rattachée à la castration ? je m’autorise à le
penser en gardant toujours mon petit recul de prudence scientifique :
jusqu’à preuve du contraire.
Quelqu’un d’autre a-t-il le droit d’émettre une autre vision du berceau
psychologique qui m’a porté à la conception ? mais oui, pourquoi pas ?
ce n’est que sa vision, après tout. Si elle ne me convient pas, je n’ai
qu’à dire : c’est ton opinion sur moi, elle ne me convient pas, je te la
laisse. Au lieu de ça, j’en fais une montagne, au point de faire
parfois ce que je ne fais jamais : interrompre une personne qui parle.
Je lui dis stop, tu n’as pas le droit de m’interpréter à ma place. C’est
une attitude qui m’est venue sur le tard, quand l’expérience m’a fait
acquérir l’immense valeur du parler de soi. C’est peut-être là où j’y ai
recollé ce morceau d’enfance, le rejet de ma mère, afin de lui donner
un sens. Sinon je restais devant un inexplicable, c’est-à-dire un rien,
une tête d’épingle qui reste à trouer.
Je parle évidemment de la vie quotidienne et non de ce qui se passe en
analyse, mais l’analyse n’est-elle pas là aussi pour comprendre le sens
de la vie quotidienne, notamment la signification des conflits qui me
laissent si souvent épuisé ?
En interrompant quelqu’un qui veut parler de moi, au fond, est-ce que je
ne suis pas en train de m’identifier à l’attitude première de rejet de
ma mère ? Dans l’étendue du champ de mes relations, je m’efforce
évidemment de présenter le visage inverse de celui qui peut tout
entendre…sauf ce qui touche au point de hurlement.
Vous me direz que tous les adultes faisant un peu de couture, devenant
presbytes, demandent aux enfants ce même service d’enfiler les
aiguilles. « Tous les adultes » ne justifient pas l’adulte que je suis
qui, pour comprendre, rajoute un sens, éventuellement délirant, à cet
acte anodin. Chacun de ces adultes a peut-être sa propre épice à
rajouter à la trivialité de la réalité, et c’est bien chacun la sienne.
D’autres pas.
J’ai associé cette image à la Escher du point de hurlement à celle de
mon visage rouge reflété dans l’écran noir de la télé. Quand on arrête
les traitements anticancéreux, le système immunitaire prend le relais en
émettant cette forte décharge de fièvre. J’ai failli y passer. Ce
n’était pas au même moment que l’implantation de la sonde, mais si mon
esprit les a associés c’est qu’il doit bien y avoir une raison. Le fait
que je sois revenu à moi comme si j’étais tombé, encadré du visage des
personnes qui venaient de me relever, le fait que j’ai été serti par les
deux personnes qui me maintenaient pour que la pénétration de la sonde
puisse s’opérer, a sans doute fait le lien.
Le lieu où se boucle la boucle, où le premier cri du nourrisson s’harmonise avec le hurlement de la douleur finale.
Ah mieux y regarder, je m’aperçois que je pourrais bien confondre cette tête rouge avec celle d’un nouveau-né.
La boucle qu’il faut achever du dernier coup de ciseau nécessaire à rejoindre le premier, dans la création d’une représentation.
Richard Abibon | site internet | chaîne youtube
Vendredi 11 février 2022
Pour lire davantage:
Du 8 février au 15 février 2022 il a repris sa plume et publié une série de texte témoignant de ce que lui en tant que Sujet était en train de vivre.
- Préalable subjectif et méthodologique
- Point . 8 février 2022
- Premier Point . 9 février 2022
- Adélaïde 10 février 2022
- Deuxième point 10 février 2022
- Tuyaux 11 février 2022
- Tuyaux (bis) 11 février 2022
- Alors, ça se finit comme ça? c’est tout?
- Étaler plutôt que cacher 12 février 2022
- Clap de fin 15 février 2022