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Alors, ça se finit comme ça? c'est tout?

Témoignage de Richard Abibon

C’est l’histoire d’un occidental en quête de lumière. Il dirige ses regards vers l’orient puis vers l’Inde. Il dirige ses pas vers les ashrams, puis les sources du Gange. On lui a dit qu’il fallait en chier si on voulait s’en sortir. Oups… on lui a dit qu’il fallait souffrir pour voir la lumière. On lui a dit qu’il fallait se dépouiller et ses vêtements sont tombés à terre. C’est les reins sertis d’un pagne et en sandales qu’il est parti vers ses sources. Il mendiait sa nourriture et faisait de petits travaux ici et là. Enfin, épuisé, il a suivi à rebours vers l’Origine les premiers pas du Gange vers la vie.
Là, tout au fond, dans la semi-obscurité de la grotte, se tenait un vieillard squelettique mais somptueux. Il se jette à ses pieds.
– Mahatma, je suis venu du lointain occident perverti pour entendre une parole sage. Je t’en prie, dis-moi : quel est le sens de la vie ?
Grand silence.
Qui dure.
Longtemps.
Puis une parole tombe :
– La vie est un long fleuve tranquille.
– Quoi !? c’est tout ?
– Pourquoi, c’est pas ça ?
J’ai clos ma série de vidéos par une analyse de « Benedetta », le film de Paul Verhoeven. C’est une jolie coïncidence. Il s’agit de la même chose, le sens de la vie.
Ayant été malade au début de sa vie, au 17ème siècle, son père de Benedetta l’a promise à dieu s’il la sauvait. Dans le code de ce temps, ça veut dire la consacrer « épouse du Christ » dans un monastère. Moniale. Ça convient tout à fait à la petite fille élevée dans la foi par une mère pieuse, et, à ce qu’on devine, quelque peu éclairée.
Être pieu, c’est pour s’enfoncer dans quelque chose, non ? à la place du cœur chez les vampires. Ils n’existaient pas encore au grand siècle.
Benedetta, ce sera dans les 4 emplacements de la crucifixion : les deux mains et les deux pieds réunis en un. Cette réunion, si elle est habilement menée permet de cacher le sexe derrière les cuisses, opération dérobée aux regards, sous le voile du pagne. 4 plus 1, Benedetta laissant saigner ce Cinquième de sa belle source naturelle. Lors d’une scène cruciale (sic), Jésus, sur la croix, flagellé, dégoulinant de sang, appelle son épouse Benedetta. Il lui demande d’enlever tout ce qui les sépare. Sa robe à elle, son pagne à lui. Il lui fait poser ses mains sur les siennes, ses pieds également, en une évocation verticale de l’acte d’amour.
C’est ainsi que Benedetta reçoit les stigmates du Christ.
Quelque temps auparavant, sa petite protégée Bartolomea, par-dessus la bure, lui avait enfoncé un doigt dans le cul en plein offertoire. On nage dans les mêmes eaux sanguinolentes : autour d’un mouvement de pénétration et une blessure. Benedetta avait entendu que, pour suivre le Christ, il fallait souffrir. Elle a voulu punir son amie en se servant du prétexte de bobines de soie tombées dans l’eau bouillante. Elle exige qu’elle aille les rechercher. Et Bartolomea, dans un geste de défi, plonge par deux fois (ou trois, je ne sais plus) sa main dans l’eau bouillante.
La mère supérieure, puis le confesseur du couvent, lui indiquent sa mauvaise orientation : c’est sa souffrance propre qui rapproche du Christ, pas celle des autres.
D’où le rêve-délire de sa rencontre amoureuse avec le Christ en croix. Parce que ça part d’une demande amoureuse de Bartolomea, même si un peu vulgairement déposée. Ça nous ramène au cinquième trou, féminin, celui que je guette. L’histoire va montrer qu’elles guettent plutôt un phallus, pour l’y enfoncer à deux, Bartolomea en homme, Benedetta en femme, dans une délicieuse relation sexuelle qui va transformer la souffrance en plaisir. La première aura sculpté le dit-phallus dans la statuette de la vierge que la seconde avait rapportée au couvent, don de sa pieuse mère.
La douleur est-elle vouée à être liée au plaisir ? ça crie aussi au moment de la conception, de plaisir s’il y a orgasme, de douleur, s’il y a eu viol. Peut-être des deux, peut-être même d’indifférence.
Je ne peux rien savoir de cela en ce qui me concerne. Tout cela dépend de l’infini panel des contingences.
Bartolomea a bien vu les bouts de verre au pieds de Benedetta.
– Tu peux me le dire, à moi, c’est toi qui a fait ça ?
Benedetta, après un temps d’hésitation :
– Je ne sais pas par quelles voies dieu accomplit ses miracles.
Et moi, est-ce que je sais comment me sont venues les interprétations ? à tourner entre le caléidoscope de Louis XIV et l’épingle en attente de son aiguille.
Je tourne aujourd’hui dans un autre vide. J’ai beaucoup parlé avec mon ex-épouse et ma fille. Avec d’autres aussi. Beaucoup de choses ont été remises en question. Avec autant de souffrance que de bonheur. J’ai toujours dit que je préférerais que la mort me tombe dessus par surprise : écrabouillé par un camion ou l’artère encombrée par le même camion quelque part entre le cœur et le cerveau. Et puis, c’est pas si mal, ce temps, ce petit sursis qui me permet de réfléchir. Euh, pour les moments de réflexions, peut-être pas pour ceux de douleur.
J’y ai appris un degré supplémentaire de tolérance.
Maintenant, elle se fait attendre. J’ai l’impression que tout a été dit. Je sais bien que c’est faux, il y a toujours moyen de les dire autrement. Ou de dire autre chose.
Dans son grand manteau noir, le capuchon rabattu pour ne pas être reconnue, accoudée au comptoir du snack de l’Hôpital, elle s’attarde, la faux entre les genoux, fumant une clope et s’enfilant un dernier gorgeon de vin jaune.

Richard Abibon | site internet | chaîne youtube
Samedi 12 février 2022

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Du 8 février au 15 février 2022 il a repris sa plume et publié une série de texte témoignant de ce que lui en tant que Sujet était en train de vivre.

Tuyaux (bis) 11 février 2022
Témoignage de Richard Abibon