Le rêve
[Rêve brut] À la sortie d’un repas de famille, une femme m’invite dans son bureau. Elle a la tête de Geneviève De Fontenay, mais avec des cheveux très courts qui me rappellent ceux de Sinead O’Connor. Elle me remet une ordonnance avec un air malicieux. “C’est pour une IRM, j’ai ma petite idée sur ce que tu as. J’ai besoin de confirmer par les images. Je pense à l’endométriose”, puis elle se met à sculpter des traces, des sillons sur le plateau en bois de son bureau : des mots, des formes. Je lui explique qu’une autre personne du repas m’a déjà donné une ordonnance. Alors elle décide qu’elle va appeler sa confrère pour en échanger.
L’analyse
Mise en scène de ma fonction de psychanalyste
Mon rêve emprunte à ma lecture d’avant le sommeil le visage de Geneviève. J’ai fait une recherche sur le grand réseau bleu hier, et j’ai lu un article sur la vie de cette femme qui est tout juste décédée. Je trouve que Geneviève jeune possède un air de ressemblance avec ma mère. Les cheveux courts me font penser à ma propre personne. De là à associer que cette femme, ressemblant à ma mère, est dans la réalité de mon rêve une métaphore de moi-même, il n’y a qu’un pas. L’association est d’autant plus rapide qu’un ami m’a dit trouver des traits communs entre moi et Sinead O’Connor depuis que j’ai ma nouvelle coupe de cheveux.
Quelle curiosité de me mettre en scène ainsi en soignante. Autrement dit, que signifie cette mise en scène où je donne à une autre représentation de moi-même une ordonnance?
Une première clé de compréhension me vient du diagnostic supposé que l’imagerie médicale doit confirmer : l’endométriose. Ce diagnostic pose le cadre de ma vie en éveil dont parle mon rêve : mon activité de psychanalyste. En effet, une personne que j’écoute m’a expliqué souffrir de cette pathologie. Cette mise en contexte n’est pas là pour parler d’elle en tant que telle, hein. Elle est là pour donner le contexte dans lequel je vous parle de moi. J’ai d’ailleurs consulté cette analysante en question avant de publier ceci. Oui, pour parler de moi, j’avais besoin de donner quelques éléments de contexte.
Mon rêve me met en scène comme potentiellement souffrant d’endométriose. Autrement dit, je me mets en scène à la place de mon analysante. Il me vient que cette métaphore s’est organisée dans mon rêve parce qu’en plus de l’affection que j’éprouve pour cette femme, il y a un lien direct avec la maladie en tant que telle. Il se trouve que bien que fondamentalement différentes, l’endométriose et le cancer procèdent d’un mécanisme de multiplication anarchique de cellules là où il ne faudrait pas. J’ai mis chez moi en lien l’idée de cancer et mon angoisse de castration. Au fil des nuits, rêve après rêve, j’ai remarqué que je cours après un zizi que je pense avoir perdu, ou bien que j’en fais pousser des tas comme pour conjurer le mauvais sort qui m’en aurait privé. J’aborde cette question assez largement dans le rêve “Quand la fille moi-même paraît”. Le cancer est vu dans mon inconscient comme une métaphore d’un zizi de remplacement qui pousse: au risque d’en mourir.
Dans le rêve présent, je suis donc à la fois le docteur et la fille moi-même. La représentation de la fille moi-même est également une mise en scène d’une identification à mon analysante. Autrement dit, cette nuit est le théâtre d’une mise en scène de ma psychanalyse où j’y vois entrer la représentation d’une de mes analysantes. Oui, écouter les gens me touche et mon inconscient le traite de la même manière que les autres interactions de mon quotidien. Dit autrement je parle ici de ce que certain appelle le transfert, ou le contre transfert c'est selon. Il s'agit en tout cas de l'expression de ce que je ressens du point de vu de mes sentiments pour cette analysante.
Mais pourquoi suis-je en train de donner une ordonnance à quelqu’un ? cette ordonnance pour mieux voir ce dont je souffre, qu’est-ce que c’est ?
Une psychanalyse : une discipline qui emprunte du vocabulaire au médical qu’elle n’est pas.
Une discipline des sujets.
La veille de ce rêve, toujours sur le grand réseau bleu, après avoir lu sur la vie de Geneviève, j’ai parlé avec des pairs psychanalystes et des analysants autour de ce texte proposé par Hoang Son
Symptôme.
En médecine, un symptôme signale un élément constitutif d’une maladie.
En psychanalyse, un symptôme signale la présence fondamentale d’un désir qui ne se dit pas tout à fait, mais plus spécialement, il signale la possibilité d’un après la souffrance.
On vient en analyse à cause d’un symptôme. J’ai des TOC. Je ne trouve pas l’amour. J’ai du mal à travailler. J’enchaîne les relations pourries. Qu’est-ce que je peux y faire ?
Eh bien, beaucoup. Mais pour cela, il va falloir se heurter à la découverte de ce qui peut se cacher en soi à travers sa propre parole.
En faisant ce parcours, le symptôme peut disparaître (ou pas) car ce ne sera plus le primordial. Le primordial sera son rapport à la vie, soit une transformation “profonde”. Transformation au sens plein du terme : une création.
Si Freud disait que la disparition du symptôme est en surcroît, il sous-entendait que l’analyse amène le sujet à un plus, à un ailleurs de la vie qui vise à l’épanouir. Reste à savoir ce qui épanouit, mais aussi ce qui va s’évanouir…
Un échange passionnant s’est mis en place. La psychanalyse étant une discipline qui traite du Sujet, c’est bien dans ces interstices de parler de soi qu’elle prend racines et s’étoffe. Je vous relate donc dans les lignes suivantes ce que ce texte m’a fait associer.
Quand j’explique ma représentation de la psychanalyse, je parle de comment, “en effet secondaire” parfois “le symptôme disparait”. Lorsque je parle “d’effet secondaire”, il s’agit pour moi d’une manière de faire un pied de nez à un vocabulaire que je me représente comme issu de la médecine. Pour de vrai, lorsque je parle à un analysant avant ce pied de nez, je lui parle avec des mots du quotidien pour décrire comment parfois lorsqu’une idée est refoulée (souvent parce que vue comme désagréable ou franchement déguelasse), elle peut faire sortir en vie de veille des choses pas agréables: des comportements, des pensées qui font mal au Sujet et/ou à son entourage.
Le mécanisme de la psychanalyse
Le mécanisme de la psychanalyse est le suivant : parce que l’analysant éprouve quelque chose pour son analyste, il raconte. Il raconte aussi parce que son analyste, en éprouvant quelque chose pour lui, s’intéresse à son histoire, à ce qu’il raconte. Et lorsqu’il raconte son histoire, l’analysant, parfois, il comprend quelque chose de nouveau sur lui-même.
La fonction primordiale de la psychanalyse : c’est écouter le Sujet parler de lui même (pas de la liste d course), ce qui a pour effet de lui permettre de fabriquer du Sujet lui-même et ainsi de vivre. C’est parce que je me sens aimé par celui qui m’écoute que ça fonctionne.
En tant que psychanalyste, j’écoute mes analysants parce que j’éprouve quelque chose pour eux. C’est parce que je les écoute avec ce que j’éprouve que la fonction de la psychanalyse leur permet à leur tour de fabriquer du Sujet eux-mêmes, à leur rythme.
Qu’est-ce qui pousse le Sujet à parler ?
J’en reviens à la question du vocabulaire. Je raconte souvent dans mes écrits comment parfois le fait de se mettre d’accord sur un mot, ou de rendre plus joli l’exercice de l’écriture, fait à mon sens passer plus de temps, d’énergie dans ce qui est joli plutôt que de parler du fond qui lui est plutôt moche.
Le fond de l’inconscient contient des villes, des cités entières en ruines qui s’ouvrent nuit après nuit. Ces ruines, maisons, appartements avec d’interminables pièces de mon inconscient, se succèdent et s’entrecroisent en tous sens. L’analyse consiste à parcourir ces dédales, nuit après nuit, et à regarder ce qu’il y a à l’intérieur. Bien souvent, les découvertes sont des idées vues comme désagréables, sales. Ces idées ont été refoulées au plus profond de ces ruines justement parce qu’elles sont considérées comme immondes. Rien ne s’efface, tout reste. Les regarder permet simplement de mieux vivre au quotidien.
Alors, parler de symptômes ou de manifestations physiques et/ou psychiques qui m’embêtent en vie éveillée, pour moi, c’est du pareil au même : une querelle de vocabulaire entre une discipline qui en impose face au vocabulaire du quotidien.
Ce qui m’intéresse, c’est de continuer l’analyse. Mon souffle de vie est étroitement lié à cette mécanique: mon inconscient.
Et du point de vue de l’avocat du diable?
Mes lecteurs me rapportent souvent deux choses.
- “Christine, ce n’est pas parce que l’on se sent aimé que l’on parle.”
- “Christine, quand on va en analyse, c’est parce qu’on a mal, qu’on veut se débarrasser de son symptôme.”
Je ne connais pas ce “on”, je ne peux que vous parler de moi. Pour ma part, je suis allée au cabinet
- parce que j’avais mal,
- puis parce que j’allais bien. Travailleuse sociale, mon métier m’a conduite à écouter moult personnes. Je voulais continuer mon chemin d’écoutante et je me suis dit que ça passait par mieux me connaître.
J’ai eu un premier analyste pour qui je n’ai pas éprouvé grand-chose, hormis
- la fierté qu’il m’ait pris en analyse. Un truc du genre “je suis là parce qu’il m’a choisi”.
- J’ai ressenti de la peur aussi, une certaine angoisse assez semblable à celle de l’élève que j’étais face à un professeur,
- l’envie de lui plaire,
- de faire ce qu’il attendait de moi pour lui plaire.
Ah ben mince, à vous écrire si : j’ai ressenti un tas de trucs, sur le versant pas agréable.
Il ne parlait pas. Puis un jour j’ai fait le choix de changer de cadre. J’ai décidé d’entrer en analyse avec Richard Abibon et d’arrêter avec l’ancien. L’ancien m’a reçu 40 minutes au lieu des 20 habituelles. Il m’a engueulée copieusement et m’a dit “nan ne payez pas celle-ci, c’est pour moi.” Je n’ai pas vraiment osé dire grand-chose ce jour-là, tout comme lors de l’ensemble des séances précédentes non plus. Je n’ai pas osé lui dire pourquoi et pour quel analyste je partais. Je n’ai pas pu parler parce que j’ai ressenti un tas de trucs dans un versant désagréable, ça m’a coupé la chique. Je fais l’hypothèse qu’en prenant une position Surmoique ce psychanlayste a renforcé mon Surmoi intérieur déjà bien présent.
Éthique et méthode en psychanalyse
D’un accueil agréable
Dans la salle d’attente de mon ancien analyste, je lisais depuis quelque temps un psychanalyste, Richard Abibon. J’ai été époustouflée par le fait que ce gars a écrit un livre en partant de ses rêves. Alors je l’ai cherché sur Google et je l’ai trouvé sur Facebook. En plus de son bouquin que je dévorais (il m’a rendu accessible tout un tas de vocabulaire très élaboré qui en réalité parlait de choses très simples), en plus de ses bouquins, il continuait à publier régulièrement ses rêves, analyses et vidéos. Une manne pour moi, un trésor de transmission.
Au doute : créature vs créateur : qui parle ?
Dans cette transmission, je me suis questionnée et je continue de me questionner sur ce qui fait la différence entre lui et moi :
- Différence qui, quand elle est vue comme un espace suffisamment large, m’assure que je pense bien par moi-même et que je ne suis pas qu’une marionnette de cet autre.
- Différence qui, quand elle est vue comme un espace qui se réduit, suggère un mélange de deux êtres humains, me conduit dans le doute de : qui parle ? Lui ou moi ?
Ce questionnement est une réplique d’un doute plus ancien, de cet espace que je me ménage entre moi et mes parents, de comment je sors de leur parole pour devenir moi, un être à part entière : accéder à ma propre parole.
Pour mieux comprendre : l’analyse d’un film
Le film “Le Chevalier Vert” est fort utile pour la compréhension de ce phénomène, car il met en représentation justement un fils pris dans les mots de sa mère sous la forme de sa ceinture verte empreinte de magie. Croire que pour de vrai les mots d’un autre peuvent nous impacter est à mon sens une fragrance de la magie.
Pour résumer ce magnifique film, Gauvain, après avoir accepté les règles du jeu du Chevalier Vert, à savoir que tout coup donné devra être rendu par le même chevalier l’année d’après, coupe la tête du fameux chevalier vert. Partant la tête sous le bras, ce dernier donne donc rendez-vous à Gauvain l’année suivante à la chapelle verte pour subir en retour un coup identique.
Lorsque Gauvain, dénouant la ceinture verte de sa mère, décide de tenir sa propre parole, le chevalier vert brandit sa hache et la laisse de côté en lui disant “bien joué !”. Il ne coupe pas la tête du jeune homme. Tout cela n’était qu’un jeu. Tout cela était dans la représentation. C’est parce que Gauvain respecte sa parole dans la représentation qu’il obtient son “Je”. Or, respecter sa parole dans la représentation ne nécessite pas que le chevalier le tue dans la réalité.
Ce que Gauvain a tué, c’est l’illusion de la réalité, l’illusion que le fantasme est une réalité, que le jeu est une réalité. Ici, je retrouve le sens d’une psychanalyse.
Pour ceux qui veulent approfondir l’analyse de ce film, je vous partage l’analyse en vidéo faite par Richard Abibon.
Moi créatrice et mes créatures
Un jour, nous marchions avec Richard Abibon pour faire le tour de la boucle de Besançon, en parlant chacun à notre tour de nous-mêmes.
Me voici à lui expliquer que, en tant que “moi” mère au top, j’ai décidé de respecter mes enfants en tant que Sujet, je les laisse libres d’être eux-mêmes, que je ne veux pas les piéger dans ma parole.
Lui me répond avec un petit sourire au coin des lèvres : “Ah ?”
Moi, prenant mon idée en pleine figure : “Ah ben merde, je leur mets quand même un code source, celui d’être libres.”
Lui, resouriant. Moi : “Pff, tu m’énerves, tu savais puis t’as rien dit.” Lui : “Ben je crois pas que c’était nécessaire de te le dire, la preuve : tu as parcouru ton chemin toi-même. Tu es légitime à être par toi-même.” Scrogneugneux…
C’est ce qui me fait dire aujourd’hui qu’à la fois :
- Baigner dans les mots de sa mère, de son père, c’est nécessaire, c’est vital et il n’y a pas le choix.
- Pas question d’y échapper, c’est aussi ce qui fonde l’être humain.
- À un moment donné, pour se sauver en tant que Sujet, le Sujet qui dépend de son créateur vient s’extraire de ces mots, à des âges différents, tout au long de la vie, même parfois quand le parent est mort.
Quand et comment le Sujet se donne l’autorisation de parler : un support méthodologique pour le psychanalyste
Dans mon analyse avec Richard Abibon, deux choses m’ont aidée à parler :
- Mes rêves, un support assez génial pour trouver des images et ne pas tourner à vide,
- et son attention, sa gentillesse et sa manière de me proposer un mouchoir en visio. Bien sûr que c’était inutile pour de vrai, mais moi ça m’a fait sentir de la compassion devant ce que je vivais. Ça m’a fait lâcher encore plus du côté de mon gendarme intérieur. J’ai osé parler parce que cet autre pouvait m’écouter au-delà de la morale. Il pouvait écouter au-delà de la morale, car en séance ce ne sont que des mots : de la représentation. Ce n’est pas un passage à l’acte que de parler d’une idée vue comme dégoûtante.
C’est parce que j’ai éprouvé des choses pour mon analyste que j’ai osé parler comme j’ai parlé. C’est parce qu’il a su garder le cadre du non-passage à l’acte et qu’il m’a montré de l’intérêt que j’ai parlé. Ainsi, j’ai pu en corollaire analyser pour mon propre compte mon histoire que je lui contais. Je sais aujourd’hui combien, quand j’écoute, si j’ai le versant haine ou le versant amour dans le transfert, je n’écoute pas pareil. Alors, j’analyse en permanence ce que ça me fait, ce qui me permet d’écouter chacun sans leur projeter sur la tronche les représentations de ma réalité intérieure.
La veille de ce rêve, j’ai donc assumé mon positionnement de psychanalyste comme me considérant pratiquer une discipline étrangère au soin et, par le fait, étrangère au vocabulaire médical. Autrement dit, j’ai réaffirmé comment jamais au grand jamais je dis à un autre ce qu’il faut qu’il fasse pour aller mieux.
Et pourtant, le rêve me met en scène donnant une ordonnance à la métaphore de mon analysante.
La limite entre l’analysante et sa psychanalyste
Dans le rêve, l’ordonnance d’IRM, je l’adresse à la fille moi-même, qui comme je vous l’ai conté plus haut, peut être aussi une représentation de mon analysante.
L’IRM est un examen médical qui permet de voir à l’intérieur, de donner une forme à ce que l’on ne voit pas : tout comme la psychanalyse.
Malgré tout ce que je vous ai conté plus haut, voilà que je me mets en scène dans un vocabulaire de soignant en train de me donner à moi-même métaphore de mon analysante la recette/l’ordonnance pour trouver la représentation de mon/son mal.
Ce rêve est à la fois :
- une représentation de ma psychanalyse
- une représentation de moi psychanalyste.
De fait, lorsque j’écoute une ou un analysant, je pars avec un individu sur son chemin d’analyse, en compagnonnage. Je pars avec mon histoire et j’écoute son histoire. C’est elle qui parcourt son chemin et moi, je marche côte à côte. C’est parce que je m’intéresse à elle et que je sais que je ne sais pas pour elle que ça fonctionne.
Pourtant je voudrais lui donner l’ordonnance/la recette pour qu’elle ait moins mal, qu’elle arrive plus vite à comprendre, à voir ce mal qui la ronge.
À l’écriture j’associe celui qui sait au docteur, à la médecine. Le médical comme garant d’un savoir sur moi, en métaphore de ma mère en mon jeune temps (pour ceux que ça intéresse j’ai d’autres articles sur cette question). Je fais l’hypothèse que pour certains c’est le médical, pour d’autres la religion, pour d’autres encore le politique, en remplacement des parents qui dans la prime enfance on pris soin du petit être humain qu’ils étaient.
Peu importe l’objet doté d’un savoir, ce qui m’intéresse dans cet écrit, c’est d’étudier le processus qui amène un Sujet à penser qu’un autre sait pour lui, possède un savoir sur lui. J’aborde donc le phénomène dans sa dimension du comment et du pourquoi.
Au-delà d’une idée largement répandue du docteur qui sait, mon image de savoir médical se nourrit également de mon parcours récent en cancérologie. Voilà pourquoi j’emprunte les images du médical dans mon rêve pour parler de cette idée que je pourrais savoir pour un autre. Je me mets donc en scène pratiquant tout ce que je déteste en vie de veille : un Sujet sachant sur un autre Sujet. Je trouve régulièrement cette idée dans mon inconscient, décidément, je ne suis pas une oie blanche.
L’inconscient est ainsi fait : du clair, du sombre. Ma psychanalyse m’aura permis de mettre un espace, un vide, une différence entre ce qui se passe dans mon inconscient et mon positionnement en tant que Sujet dans la réalité commune que je partage avec d’autres Sujets. Cette réalité commune c’est la réalité extérieur qui m’entoure, c’est ce qui est mis en représentation par chaque Sujet pour se forger sa propre réalité subjective.
Autrement dit:
- la réalité extérieur est différente de ma réalité extérieur
- ma réalité extérieur est différente de ma réalité intérieur
- ma réalité extérieur est différente de la réalité extérieur d’un autre Sujet, elle est colorée de notre subjectif propre: donc différent
Alors, tout comme le mot n’est pas la chose qu’il nomme :
- Ma réalité intérieure n’est pas la réalité extérieure
- Je ne suis pas l’idée que je porte
- L’idée que je porte ne va pas forcément se produire dans ma réalité extérieure.
- L’idée que je porte ne va pas forcément se produire dans la réalité extérieure
Ce n’est donc pas parce que je porte l’idée que je sais pour la personne que j’écoute que je vais passer à l’acte d’analyser pour elle ce qui se passe dans sa propre réalité intérieure.
Je voudrais lui donner la recette pour aller mieux :
- parce que je l’aime beaucoup cette dame.
- parce que je garde l’idée que ce qui vaut pour moi vaut pour un autre. Cette idée parle d’une modalité de ma représentation de ma réalité extérieure :
- Parce que c’est ma réalité subjective : ce qui vaut dans ma réalité intérieure vaut dans ma réalité extérieure.
- À regarder de plus près, oui, c’est juste. Sauf que ma réalité extérieure ce n’est pas la réalité extérieure et encore moins la réalité subjective extérieure de cette autre que j’écoute.
Je suis donc légitime à me donner ma propre ordonnance d’IRM, mais pas pour elle. Autrement dit, je peux analyser ma réalité intérieure et non celle d’un ou d’une autre.
En vie de veille je ne suis pas une oie blanche non plus, alors je profite ici pour présenter mes sincères excuses à toutes celles et ceux à qui j’aurais fait le coup du passage à l’acte de savoir pour eux.
Mais alors à quoi je sers en tant que psychanalyste ?
Lorsque je l’écoute, des éléments de son discours font sens pour moi, parce que nuit après nuit j’ai trouvé des éléments qui ressemblent à ce qu’elle raconte. Et pourtant je sais que je ne sais pas pour elle. Elle est la seule à connaître son histoire, à avoir sa mémoire, à ressentir ses émotions. Quand je dis que l’histoire qu’elle raconte fait sens pour moi, il s’agit bien de mon sens et non du sien.
Parce que :
- ce que la personne dit me rappelle quelque chose de moi,
- la personne que j’écoute m’intéresse, j’ai envie de savoir comment c’est pour elle dans sa réalité intérieure
- j’affine jour après jour la représentation de ma réalité intérieure ce qui me permet de mieux me différencier de la personne que j’écoute
Je sers en tant que psychanalyste à poser des questions ouvertes qui lui permettent de continuer : - à parler d’elle,
- à préciser son histoire pour me permettre d’entendre là où elle est et c’est là que parfois elle peut comprendre des choses nouvelles la concernant.
Le rapport créateur vs créature
Me revient ce jour où mon fils a fait ses premiers pas à l’école maternelle. J’ai ressenti à cette époque des émotions un peu semblables à celles d’aujourd’hui. Un soir, rentrant en larmes, il m’explique qu’il se sent mal d’avoir été bousculé par un autre élève. À cet instant, j’ai compris que je ne pourrais jamais garantir à mon fils une vie sans sentiments désagréables.
Autrement dit, j’ai tué l’illusion que mon fantasme de lui garantir un bien-être absolu était la réalité.
J’ai pris conscience que sa vie était la sienne et que je pouvais tout au plus l’accompagner dans une douceur qui lui permette de passer ses propres caps qu’ils soient agréables ou désagréables.
En effet, sous l’idée bienveillante sous-tendue par mon désir de bien-être pour lui, apparaît une idée un peu plus désagréable : je le considère comme une partie de moi, comme une marionnette que j’anime. L’animer, lui donner vie bien sûr, lorsqu’il était petit se fut nécessaire et vital. Mais aujourd’hui cela équivaudrait à le maintenir sous mon joug, sous ce savoir que je pense avoir sur lui et ce faisant à le tuer en tant que Sujet à part entière.
Ainsi, les structures du mécanisme de la psychanalyse et celles de la parentalité se ressemblent fortement. Je dirais même qu’il s’agit d’une structure commune qui traite du lien entre créateur/créature
Pour conclure : parler de soi un élément de mon éthique de psychanalyste.
La médecin aux cheveux courts, métaphore de la fille moi-même, celle qui donne l’ordonnance, se met à sculpter tout un tas de lettres, de signes sur le plateau en bois de son bureau de travail. Ici j’y entends que je me mets en scène en train de faire de la représentation de ma manière d’exercer la fonction de psychanalyste, de moi psychanalyste en somme. Voici tout l’intérêt de ce que certains appellent, groupe parler de soi, contrôle, analyse de la pratique, psychanalyse, supervision… Il s’agit de continuer de parler de soi, faire de la représentation de soi, pour rester à l’écoute de ce que ça me fait d’écouter d’autres Sujets.
Au-delà du sentiment, ce travail analytique m’amène à fabriquer de la représentation de ma pratique de la psychanalyse. Ce faisant je découvre les limites de ma représentation de moi-même. Je laisse au Sujet que j’écoute le soin de creuser lui-même dans sa masse de perception pour se fabriquer ses propres représentations de lui-même.
Je conclus pour ce rêve avec tout un tas d’articles à écrire. Je vous remercie de votre lecture.
Christine Jeudy | Psychanalyste | Besançon