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L'inconscient n'est pas complètement structuré comme un langage

Comment fonctionne l'appareil psychique pour fabriquer des représentations ? Comment se produit la conscience ? Comment se produit l'inconscient ?

D'une masse de perception à la représentation

Je découvre aujourd'hui dans ma pratique des éléments dans mon inconscient qui sont hors langage, des choses que je ne peux pas décrire, des masses informes, des borborygmes, des éléments non encadrés par un vocabulaire et une syntaxe. Ces choses sont comme les restes de copeaux après le passage du ciseau du sculpteur. J'emprunte à Richard Abibon la dénomination de ces éléments : le Réel, c'est-à-dire les restes de ce qui n'a pas été transformé par le symbolique. Je constate d'ailleurs que ces restes, l'inconscient n'a de cesse que de tenter de les intégrer au symbolique, sans pour autant y parvenir.

Face à cette découverte, je vérifie aujourd'hui l'hypothèse que l'inconscient n'est pas tout à fait structuré comme un langage, il y a au moins une partie qui ne l'est pas : mes restes de copeaux dont je ne peux rien dire. Ces restes de perceptions que je trouve dans les représentations peuplant mon inconscient, représentations nées sous l'effet du symbolique, me font penser que, justement, avant d'être des restes, elles étaient la somme des perceptions reçues par :

  • les capteurs de mon corps, les organes des sens qui perçoivent : œil, peau, bouche, nez, oreille...
  • ces capteurs sont soit en forme de trous, soit en forme de limite entre mon intérieur et mon extérieur.
  • ça s'inscrit dans la mémoire sous forme de traces perceptives, la somme des perceptions : le Réel. Les perceptions s'y inscrivent sous forme de traces illisibles, là où le symbolique n'est pas encore passé, aucune description possible.
  • cette masse de perception subit alors un encodage par le symbolique, l'image apparaît, c'est à ce moment-là que la représentation advient. La représentation n'est pas le décalque exact de la perception, ni de la chose représentée : la représentation est teintée du subjectif de celui qui l'a créée. 

C'est à cet instant que se produit le phénomène que nous appelons conscience. C'est donc avec la perception et la représentation que nous construisons ce que nous appelons la réalité, qui de fait est subjective

Explications basées :

  • sur le schéma de Freud au chapitre 7 de "La Science des rêves",
  • sur le schéma de Richard Abibon dans la vidéo "le symbolique = le trou"
  • confirmées par mes propres recherches dans mon laboratoire, à savoir mon inconscient.

La mécanique du symbolique

La découpe comme origine du cadre

À partir des traces perceptives, le symbolique trace un cadre autour de l'objet, cadre qui est le contour de l'objet. Le traçage de ce cadre est lié intrinsèquement à l'affect, car mes recherches m'amènent à dire que l'affect c'est le symbolique en tant que tel. Alors que pour certains, c'est le mot qui trace le cadre, je vous propose ici d'aller un peu plus loin dans la découverte de ce qui se joue dans l'inconscient et de comment il se forme.

Le cadre dont je parle dans ces lignes, ce n'est pas un cadre plein, comme celui des tableaux du musée, mais un cadre de vide :

  • vide au sens d'une articulation.
  • vide qui établit une différence entre un objet et son environnement.
  • sans le vide, les éléments colleraient les uns aux autres (comme la mère et l'enfant) et nous ne pourrions pas les distinguer.
  • le vide permet à deux éléments de se mouvoir l'un par rapport à l'autre.

Je note ici l'existence de deux types de cadres :

  1. dans le champ de la réalité commune de la vie éveillée : le cadre plein, rigide, qui vient délimiter la photographie, la peinture (la représentation quoi) du reste de son environnement.
  2. dans le champ de l'inconscient, de la réalité intérieure d'un Sujet (qui parfois peut sortir à l'extérieur, mais c'est une autre histoire que je vous conterai ultérieurement), le cadre de vide qui vient délimiter la représentation du reste de son environnement.

Il est évident qu'ici il y a une source significative de confusion. Dans les deux cas, je dis que le cadre vient délimiter la représentation du reste de son environnement. Et pourtant la différence est fondamentale, donnant ainsi un éclairage sur comment l'un de ces cas découle de l'autre.

D'un cadre de vide à un cadre de plein

Je fais l'hypothèse que le cadre de vide nécessaire à la création de la représentation, par sa modalité de création, à entendre la découpe de la masse de perceptions, renvoie de suite le Sujet à son angoisse de castration. Alors, en vie éveillée, pour faire face à ce traumatisme inconscient, le Sujet, comme pour conjurer l'idée qu'il se fait de la castration, du trou béant laissé par la coupure, met du plein, du beau, de la rigidité à la place du vide et du rien. Bien sûr que pour de vrai, il ne manque rien à personne, ici il s'agit d'un pas de l'inconscient dans la réalité de vie éveillée, d'une illusion que l'imaginaire c'est la réalité. La découpe est nécessaire à la création de la représentation. La représentation est elle-même nécessaire au Sujet pour advenir en tant que tel : à entendre l'advenu d'un Sujet vu comme une machine à faire des représentations, y compris de lui-même (phénomène appelé la conscience). Pourtant, la découpe est également vue comme un rappel douloureux de la seule explication que le Sujet enfant a pu se donner sur la différence entre les sexes : la castration.

La coupure est un élément de structure de la différence :

  1. dans la coupure de la masse des perceptions comme élément de différentiation entre une représentation et son environnement. Ici l'affect est moindre, voire absent, parce qu'au bord du Réel.
  2. dans l'idée de coupure du zizi comme élément de différentiation entre homme et femme. Ici l'affect est puissant parce qu'enraciné dans la partie déjà symbolisée.

Dans l'après-coup de la création de la représentation, le point 1 se trouve relié au point 2 par le Sujet, par collage lié à l'élément de structure commune : la coupure.

Mais alors, comment cela intervient il dans les relations entre Sujets ?

Entre deux Sujets, un dialogue entre cadre de plein et cadre de vide

Le cadre de plein

Le cadre de plein, comme je vous l'ai raconté plus haut, est une manière pour un Sujet de faire face à son angoisse de castration. Dit autrement, le Sujet soumis à son imaginaire de castration, parce qu'encore dans l'illusion que son imaginaire c'est la réalité, tente de faire face à l'idée de castration dans sa réalité de vie éveillée. L'inconscient est un magicien champion dans l'art de faire passer des vessies pour des lanternes et en refoulement. La plupart du temps, le Sujet refoulant ne voit pas ce qui est mis en scène. Pour certains, cette ignorance de ce qui se passe n'apparaîtra jamais comme une gêne à vivre, alors que pour d'autres, la perception pourra devenir jusqu'à être qualifiée d'insupportable. Toujours est-il que le cadre de plein est une réponse d'un Sujet à lui-même, lui permettant de faire face à l'idée de castration en vie éveillée. Parfois des Sujets se regroupent et font corps, pour ensemble déterminer des cadres de plein. Vous reconnaîtrez sûrement le vocabulaire du moment : "déterminer une vision commune, un projet de service, une vision de société...". En effet, lorsque le Sujet se sent reconnu par d'autres dans son besoin de combler le vide par du plein, il augmente son sentiment d'apaisement face à l'horreur de son angoisse de castration.

Le cadre de plein est en vie éveillée la résultante d'un mécanisme éminemment subjectif. Il ne s'agit pas ici de morale ou de qualifier ce qui serait mieux ou moins bien. Mon texte vise à comprendre ce qui se met à l'œuvre dans la psyché humaine et de mieux comprendre comment, lorsque l'imaginaire se confond avec la réalité de vie éveillée, cela produit des passages à l'acte dramatiques (l'Histoire en est truffée, je dirais que l'Histoire qui est en train de s'écrire en est encore un terrible témoignage). J'exerce la fonction de psychanalyste et non celle de juge, je laisse donc aux autorités compétentes le soin de se saisir de leurs missions, parce que comprendre le mécanisme des passages à l'acte n'excuse pas le passage à l'acte en tant que tel. Les sociétés se sont organisées afin de répondre à ces passages à l'acte. Je vous rappelle que ces organisations de sociétés évoluent dans l'espace et dans le temps. Au niveau structurel, des éléments d'organisation de ces sociétés ressemblant étonnamment à des éléments retrouvés dans ma psyché me permettent de faire l'hypothèse qu'à chaque fois, ces sociétés sont la résultante d'une organisation collective faite d'individus, et qu'en ce sens elles sont le compromis que ces individus ont mis en place pour vivre ensemble tout en composant avec leur psyché respective. Pour lire plus sur cette question, je vous laisse cliquer ici.

Les limites du cadre de plein

Je suis fort aise que le cadre de plein ait conduit la plupart de mes concitoyens à avoir admis que non ! Manger son voisin, ça ne se fait pas pour de vrai. Je me sens un poil plus en sécurité, c'est certain. Je remarque que l'idée de "manger son voisin pour en prendre la force et ainsi tenter de conjurer son angoisse de castration" n'a pas disparu pour autant, tout au plus elle s'est déportée sur d'autres domaines plus politiquement corrects comme la finance ou le management...

Le cadre de plein, comme lois édictées par des hommes, a ceci de limité qu'il est écrit par des hommes, et en cela, il reste sous l'influence de la structure psychique de l'être humain. Je fais donc l'hypothèse que la loi peut parfois venir comme un couperet d'un Sujet à un autre, le premier ayant édicté une loi qui répond à son propre désir et l'imposant au deuxième. Il me paraît donc important que les êtres humains gardent en tête cette donnée, pour prendre du recul sur les lois qu'ils édictent. Les hommes des régimes comme celui du national-socialisme ou bien encore celui des Khmers rouges ont édicté tout un tas de lois visant à atteindre le bien, le beau, l'égalité : à leur sens. A l'heure d'aujourd'hui, je peux dire que ces gens ont été les auteurs d'atrocités et de génocides. Je prends ces exemples à dessein pour montrer jusqu'où la confusion entre imaginaire et réalité peut conduire tout un peuple. Sans aller dans ces extrêmes sanglants, la violence contenue dans les cadres de plein est par structure toujours sur le pas de la porte.

Je conclus donc ce paragraphe sur l'idée que le cadre plein qu'est la loi peut être à la fois :

  • vu comme la garante d'un vivre ensemble limitant les risques de confusion entre l'imaginaire de chaque Sujet et la réalité : conduisant à la limitation des passages à l'acte dramatiques
  • vu comme assujetti à la psyché de l'humain dans la mesure où la loi est écrite par un être humain, lui-même soumis à sa psyché et à ses mécanismes inconscients. Le risque de passage à l'acte, de confusion entre imaginaire et réalité peut avoir lieu sous le couvert d'une loi.

Le cadre de vide

Me faisant à nouveau l'avocat du diable, je dirais : "Merci Christine de ce brillant exposé. Et maintenant, ça me fait une belle jambe tiens ! En quoi cela peut-il faire avancer le schmilblick ?" Eh bien à pas grand-chose, je vous l'accorde, tout au plus à comprendre comment nous avons bien pu en arriver là. Je vous propose dans la suite de cet article, non pas une recette miracle, mais plutôt de continuer l'exploration de ce dialogue entre cadre de plein et cadre de vide.

Lors de ma pratique de travailleur social, ou celle de mère, j'ai parfois eu le sentiment suivant : "punaise, si je ne mets pas de cadre, ils vont me bouffer." Ce sentiment témoigne de mon incapacité à trouver mon cadre de vide autour de moi-même, me dégageant de cet autre avec qui je suis en lien. Me dégager de cet autre, c'est advenir en tant que telle, différente et unique. Ce cadre de vide, ma limite sur le dessin, me permet de m'en retirer une représentation de moi-même. Je touche ici la question des limites, pas tant celle d'une limite qui serait écrite comme savoir universel et moral, mais bien une limite de vide au sens où elle définit moi-même, comme différente de cet autre et de mon environnement. Sous l'effet du symbolique se crée le vide qui différencie la représentation de son environnement. Je retiens ce qui me touche, je représente ce qui me crée de l'émotion, oui parce que l'affect, c'est le symbolique en tant que tel. L'éthique du psychanalyste se niche dans ce creuset, c'est parce que le psychanalyste repère ce que ça lui fait d'écouter, qu'il peut, au fil de ses associations, faire la différence entre son inconscient et celui de cet autre Sujet qu'il écoute, lui laissant alors le loisir de parler de lui en tant que Sujet à part entière. Toutes les modalités en psychanalyse se discutent, sauf le passage à l'acte : lui, c'est interdit. C'est ce vide de passage à l'acte qui permet l'articulation entre les deux protagonistes : une articulation par la parole.

Lorsque des institutions, des parents, des psychanalystes prennent le cadre pour quelque chose de plein, comme le cadre d'une toile de musée, se produit un effet de renforcement de la censure, de refoulement qui empêche le Sujet d'accéder à ce que contient son inconscient. Alors, comme dans une cascade, s'enchaîne l'idée que ça ne favorise pas la possibilité de faire la différence entre l'imaginaire et la réalité. Oui, comment faire la différence entre deux choses lorsque l'on n'en voit qu'une ? Le cadre en psychanalyse est justement le vide de la parole, qui fait que l'on ne rigidifie pas une règle, surtout sans en discuter avec l'analysant. La règle n'est pas quelque chose qui tombe du ciel comme un couperet, on en discute, y compris pour le paiement. Le cadre plein, à contrario du cadre de vide, peut venir redonner la sensation d'un truc qui, comme tombé du ciel, rappelle l'idée de sa castration au sens où il ne maîtrise pas ce qui lui arrive.

Pour conclure, le vide c'est :

  • l'articulation,
  • l'entourage de l'objet qui est devenu représentation,
  • le trou d'une négation : lorsque je désigne quelque chose positivement, je nie en sous-entendu tous les autres mots et concepts du langage.
  • l'absence : c'est le symbole de quelque chose qui n'est pas là, qui est dans le trou. La représentation est en dehors du bout de tissu du drapeau d'une nation, elle est dans les frontières pour certains, dans le lieu de gouvernance pour d'autres.

Dans ce vide de la découpe de la masse des perceptions et de la représentation elle-même, j'observe une souplesse qui renvoie à de l'absence, à quelque chose qui n'est pas là et que je fais advenir par des mots et ou d'autres images, pour faire comprendre à celui qui me donne de l'intérêt, qui porte de la valeur à ma parole, ce que j'ai à transmettre. C'est parce qu'il y a de l'affect en jeu que la représentation advient, ici encore. D'un point de vue purement théorique, nous pouvons ramener la représentation à son plus simple appareil, quelque chose qui se détache de son environnement : une rondelle verte.

  • Cette rondelle, il faut penser qu'elle a une autre face. Cette autre face, d'une couleur différente, est vue comme ce que cette représentation de la rondelle verte pourrait représenter d'autre.
  • Cette rondelle a un trou à l'extérieur qui la détache du Réel.
  • Au centre de cette rondelle, il y a un trou interne, qui fait partie du langage / du symbolique, qui est le symbolique comme tel et qui rappelle qu'il y a quelque chose qui n'est pas là au sein de ce qui est là.
Une histoire d'illusion et d'hallucination
Quand 'l'insupportable sort dehors