Le Rêve
Je suis dans une salle avec deux professionnelles qui nous parlent de notre fille. L’une d’elles explique que pour l’un des enfants dont elles s’occupent, notre fille, courant de l’année dernière, une dame (la mère) a été admise en réanimation, que personne ne leur a donné de nouvelles de la dame. Les deux professionnelles ont donc dû faire avec l’enfant sans savoir ce qui était arrivé à la dame. Je lui explique que la dame c’est moi. Répétitions 3 fois. La professionnelle continue à parler comme si elle ne m’entendait pas. Je finis par lui dire très fort : la dame c’est moi ! La fille s’arrête alors de parler et me dit : “Ah oui…!” Un peu gênée.
L’analyse
D’un point de tiraillement
Les deux professionnelles de ce rêve me font associer à des personnes que j’ai croisées pour de vrai la veille de ce rêve dans un temps de travail dédié à la psychanalyse. Lorsque la dame de mon rêve continue à parler sans écouter ma précision “je suis la dame qui est passé en réanimation et donc la mère de l’enfant dont elle parle”, je ressens un point de tiraillement entamant une ballade corporelle du bas de mon ventre jusqu’à mon thorax : tiraillement en tout point semblable à celui que j’ai ressenti en vie de veille lors de ce temps de travail. Mais pourquoi cette analogie ? Je m’en vais continuer d’associer, l’analyse pourra peut-être m’en donner des clés de compréhension.
À un point méthodologique
Je précise ici que les lignes de ce texte racontent l’histoire de mes représentations et des sentiments que je porte. Il ne s’agit absolument pas de décrire la réalité de ce qui s’est passé lors de cette rencontre ni de la réalité des personnes présentes.
Elles seules pourraient en dire quelque chose pour elles, et encore avec la limite liée au fait que la réalité du moment vécu est :
- soit une composition de l’ensemble de nos réalités subjectives,
- soit une réalité objective qui viendrait anéantir les Sujets (c’est-à-dire l’ensemble des personnes présentes) au profit d’une photographie objective et scientifique du moment.
J’en reviens à mes moutons, heu, non à mon analyse, je ne voudrais pas trop vous endormir.
Moi sous influence
La veille de ce rêve, en vie de veille justement, mon point de tiraillement a émergé au moment où l’une des personnes présentes a évoqué le texte d’un auteur en psychanalyse, emportant ainsi les échanges autour de ce texte plutôt qu’autour d’un parler de soi. Le point de tension que j’ai alors ressenti m’a conduite à prendre la parole et dire en parlant de moi ce que je pensais de la thématique abordée. À cet instant, en retour, j’ai eu le sentiment de ne pas avoir été entendue pour ce que j’avais à dire, comme si lorsque je disais blanc, l’autre entendait noir. Pas besoin d’être grand clair pour associer à ma mère et à mon ex-mari qui furent cet autre dans deux de mes relations où j’ai ressenti cet impossible à me faire entendre.
Mon analyse aidant et le cadre de ce groupe de travail m’ont permis de dire sur le moment mon sentiment de mal entendu et mon désir d’affiner encore ce que j’avais à en dire, pour qu’un jour peut-être je puisse être entendue pour ce que j’ai à dire. Aujourd’hui, contrairement aux relations avec ma mère et avec mon père (je voulais écrire mon ex-mari… voilà voilà… ça, c’est une première, je ne l’avais encore jamais vu), point de rupture pour de vrai avec ces autres, juste un mot pour signifier ce que je ressens et le travail a continué.
J’ai le sentiment qu’en vie de veille le regard de l’autre n’est plus aussi fondateur de qui je suis. Et pourtant, j’ai encore ce désir d’être comprise par cet autre qui partage un bout de chemin avec moi. Pourquoi ? Parce que je l’aime tout simplement, et que je voudrais bien qu’en retour, lui aussi m'aime. Le regard de mes compagnons de psychanalyse m’importe parce qu’ils ont de la valeur à mes yeux, tout comme ma mère, mon père et mon ex-mari et que parce qu’ils ont de la valeur à mes yeux, en retour, j’ai le désir d’avoir de la valeur à leurs yeux.
Je mesure l’effet de la psychanalyse, comment rêve après rêve les scénarios se modifient pour laisser apparaître des scènes pleines de clarté. Dans ce rêve, me voici à m’assumer : “Je finis par lui dire très fort : la dame c’est moi !” conduisant la professionnelle à ressentir une gêne. Je me mets en scène en train de sortir de l’influence de cette autre qui a de la valeur à mes yeux.
Sortir de l’influence d’un autre, c’est ma mise au monde, c’est toucher du doigt, voir de mon corps tout entier, la représentation de la fille moi-même. Alors, est né un point de tension ce soir-là, lorsque j’ai eu le sentiment qu’il aurait fallu que je suive ce que disait l’auteur, puis les gens du groupe, comme si je devais repartir sous l'influence. L’idée de les suivre équivalant à l’idée de me mettre sous leur influence, a convoqué la sensation corporelle de mon angoisse de castration. Cette angoisse a pris la forme d’un point de tiraillement me prenant du bas du ventre jusqu’au thorax, comme si quelqu’un m’ouvrait le ventre de bas en haut. Ici, j’y entends une extension de ma représentation de mon sexe de femme, témoin de mon idée de castration.
Moi influenceuse
Le rêve est le fruit d’un scénario monté par le rêveur lui-même. La question se pose alors de pourquoi me mettre en scène en train de subir la mise sous influence d’un autre ? Oui, parce que ça m’éloigne d’un accouchement de moi-même, ce à quoi j’aspire à chaque seconde
Et bien :
- Parce que ça me permet de me mettre en scène en train de sortir de cette influence, et ça c’est vachement agréable.
- Parce que être sous influence ça fait traumatisme en écho à mon angoisse de castration. En cela, la psyché tend à faire de la représentation de l’irreprésentable : l’horreur de la découpe d’un zizi que je m’imagine avoir eu un jour. Je précise que je sais en vie de veille qu’il me manque rien. Je suis une femme avec tout ce qu’il faut là où il faut, je suis parfaite. L’idée de manque, c’est justement une idée et non la réalité biologique d’une femme qui aurait un truc en moins que l’homme.
- Parce que j’ai aussi l’idée d’être l’influenceuse, celle qui sait pour l’autre. Les deux professionnelles sont également des métaphores de Christine la fille moi-même.
Lors d'une conversation avec une amie psychanalyste qui m'est très chère, j'ai entendu que pour certains les textes d'auteurs sont utiles et sources d'expressions de ce qu'ils ont à dire d'eux même. J'en ai compris que pour certains, lire et parler des textes écrits par d'autres c'est une manière de parler d'eux. Ce n'est pas ce que j'éprouve pour moi, moi j'y entend l'influence de laquelle je veux me sortir et la question des guerre de chapelle que je convoque lorsque je doute de ma légitimité à être à par entière. Voici un paradoxe que je vais continuer d'analyser, parce qu'à la fois:
- je sais que je sais pas pour un autre que moi, je ne peux qu'entendre ce que ces autres ont à dire d'eux même. C'est d'ailleurs en parlant d'eux qu'ils produisent du Sujet eux même
- je prend un chemin qui est pas tout à fait celui de ces autres
- je me sens heureuse quand je trouve un pair qui trouve des trucs un peu comme moi dans son inconscient, je me sens un peu moins seule
Alors ce soir là en groupe de travail lorsque j'ai pris la parole je me suis mise à la place de l'influenceuse, du moins à la place de celle qui souhaite influencer ces autres, pour leur bien, parce que j'imagine que mon chemin est le bon. Ce soir là le point de tiraillement est aussi venu de la résistance de ces autres, Sujets à part entière qui ne sont pas entrée dans mon influence, oh frustration castratrice.
Je suis pas très fière de ces idées, et pourtant je les porte. Voici ce que produit l'analyse, elle permet de voir et d'assumer un peu plus les idées qui se nichent dans mes tréfond: ce ne sont que des idées. Alors pourquoi les censurer, ce qui est interdit c'est pas l'idée c'est le passage à l'acte.
Je fais l'hypothèse que je suis pas la seule à porter ce type d'idée, parce que lorsque je vois combien d'hommes et de femmes politiques, de parents, de société de coaching ... se mettent en position d'influence, "pour le bien d'un autre" je me dis que eux aussi ils ont cette idée d'aller influencer, et que là ça prend un virage dans notre réalité de vie de veille qui laisse la porte ouverte à la mise en place pour de vrai d'une idée qui me va pas du tout: le développement d'une servitude volontaire au sein de notre société.
Le lien entre être sous influence et être l’influenceuse
Mon rêve vient mettre ma fille en métaphore de la discipline dite psychanalyse, ça dit au combien mes chères études comptent pour moi. Oui, ma fille, ce n’est pas rien, je la kiffe grave. Le passage en réanimation l’année dernière m’a privé d’un voyage lié à la psychanalyse, je comprends avec ce rêve que j’ai l’idée que les gens qui m’attendaient là-bas et les autres, ne me considèrent plus à la valeur que je voudrais, parce que je ne suis pas allée au bout de mes engagements. Je m’explique ainsi le sentiment de ne pas être entendu pour ce que j’ai à dire, comme si j’avais perdue de la valeur. Il s’agit ici de mes pensée et non d’une réalité évidement. Mon inconscient vient emprunter ce passage de ma vie comme explication à ce sentiment désagréable de point de tiraillement, lié à un sentiment d’être sous influence, sentiment lui même emprunté à ma relation à ma mère et à mon père.
Lorsque j’ai l’idée d’être celle qui influence, c’est le sentiment d’être omnipotente qui me vient à l’esprit, comme si j’étais celle qui sait ce qui est bon, comme si ce que je vis dans ma réalité intérieure était ce qui devait avoir cours pour toutes et tous. Ce sentiment est exceptionnellement agréable dans mes rêves, être celle qui maîtrise, qui abat des montagnes, qui renverse des armées telle Mulan dans les hautes chaînes de montagnes chinoises. Dans mes rêves, je peux : ça ne fait de mal à personne. Dans la réalité c'est interdit.
Pourtant, j’ai déjà bien repéré comment ce mécanisme se met parfois en route dans ma vie de tous les jours, dans mon rôle de mère par exemple, ou bien encore lors de cette rencontre de psychanalyse à la source de ce rêve.
La sortie de l’influence est un mouvement qui casse, qui coupe, qui fait se détacher d’un autre tout-puissant qui saurait pour nous. Je pense que le mouvement de devenir l’influenceuse est aussi une récupération de ce traumatisme vital d’avoir été sous l’influence de mes parents : je me réattribue de la valeur en prenant leur place. À noter que prendre leur place dans le lit respectif de l’un ou de l’autre ça me va bien aussi, depuis le champ de mon fantasme évidemment, parce qu’en vrai, ben non, je n’ai pas cette envie.
Je profite de ce rêve et de son analyse pour remercier l'ensemble des gens que je croise au cours des temps de travail lié à la psychanalyse. Merci à vous toutes et tous de votre engagement de Sujet à parler dans ces temps, à analyser comment l'influence joue un rôle pour vous aussi, ou pas, et ainsi à suivre votre propre chemin de Sujet. Je vous remercie parce que c'est en vous entendant parler de vous que je peux, jour après jour aller comparer ce que je trouve dans mon inconscient et ainsi aller chercher si une structure commune se dégage, une structure psychique de l'être humain.
Christine Jeudy | Psychanalyste | Besançon