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Black Out

Où comment parler de soi ramène de la représentation et en effet secondaire de l'apaisement

Un rêve sur un escalier. Je suis avec Nicolas et nous sommes en train de dégager les marches pour accéder à nouveau à la terre qu’elles contiennent pour y planter des tomates. Par le passé j’avais caché les pots avec des vestes et tout un tas d’autres vieux habits. J’ai besoin d’enlever les vieilles frusques pour pouvoir replanter correctement avec lui.

L’analyse

Je sors d’une brume de plusieurs jours. Les souvenirs me reviennent petits à petits avec l’aide de mes proches. Un black out de plus de 72 heures: mes souvenirs se sont envolés avec le jour de ma seconde chimiothérapie jeudi dernier. C’est 48h plus tard que j’émerge en réanimation médical au CHRU de Besançon, sans lunette, une sonde urinaire, trois ou quatre voies veineuses et artérielles posées. Entrée en urgence le vendredi matin, extubée l’après midi, j’en suis sortie dimanche dans l’après midi.

Mais alors que c’est il passé? Et que m’est-il arrivée? Les premiers temps de réveil en réanimation reste comme inaccessible, point de souvenir de mon extubation, ou d’autres examens plus délicats qui ont été menés en amont, comme ma ponction lombaire. A n’en pas douter les médicaments y sont pour beaucoup, mais peut être pas que.
Nicolas a pu me rejoindre samedi à 16h, avec mes lunettes (ça aide à voir), mon téléphone et un casque pour écouter un peu de musique. C’est à partir de ce moment là que je commence à nouveau à imprimer ce qui s’est passé depuis jeudi. Parce qu’il me raconte, je commence à reconstruire les éléments de mon puzzle. Il me réapprend que je suis allée faire ma chimiothérapie jeudi, que je suis rentrée patraque et que j’ai appelé mon amie Marie-Julie en soutient pour gérer les enfants à la sortie de l’école. Il m’explique que j’étais très en colère de ma chimiothérapie et de devoir subir autant de souffrance. Encore aujourd’hui à l’écriture je reste avec peu d’accès à cette journée. Quelques souvenirs éparses de ma colère, d’être allée au CHU et surtout d’avoir eu le cran d’y aller toute seule alors que je crevais d’envie de ne pas être seule dans cette épreuve. Les protocoles médicaux sont ainsi fait, parfois certains actes se font en dehors de tout accompagnement. Dans mon histoire la chose est venue entrer en résonnance avec ma propension à être une bonne élève, celle qui obéit bien à la maitresse/ ma mère. Jeudi ma colère est pour partie née d’une phrase d'un des soignants “vous avez pas perdu vos cheveux, c’est bien! mais vous allez les perdre c’est certain.” Bien sur que les pourcentages sont de son côté. Mais ce qu'il ne pouvait pas savoir, c’est qu’à prendre son ton de sachant, pour des raisons que lui seul pourrait raconter (je vais pas commencer à interpréter un autre que moi même), il allait entrer dans une caisse de résonnance insupportable pour moi: celle de ma mère. A l’heure d’aujourd’hui je dis une chose est sûr mon cerveau à court-circuité.

Vendredi matin Nicolas m’a trouvé les pieds en bas du lit, grommelant tout un tas de choses incompréhensibles. Il a donc décidé d’appeler les pompiers. Lorsque ces derniers sont arrivés je les ai copieusement disputés ne comprenant pas pourquoi ils voulaient prendre ma tension. Il a fallu que Nicolas, l’Homme qui partage ma couche m’explique le pourquoi ils cherchaient à prendre ma tension pour que je me laisse faire gentiment. C’est donc une Christine bien compliante qui est passé par la fenêtre du salon pour faire son tour de grande échelle. 

Ce qui se passe entre le moment où l’Homme qui partage ma couche me quitte et son arrivée samedi et bien je n’y ai pas accès. Je viens de prendre le temps de lire les comptes rendus, les larmes coulent à flot. Mon corps est couvert d’ecchymoses et je me sors tranquillement de fortes crampes musculaires. Le professeur docteur du service m’a beaucoup ému, il a peu parlé mais lorsque je l’ai cherché du regard dans ma semi brume, il s’est arrêté, il m'a écouté pour de vrai et il a permis mon retour à domicile dimanche. Que l’on soit bien clair, je n’en veux à personne du personnel médical en tant que tel, ce que je questionne c’est comment lorsque le Sujet moi même est mis au rang / au banc d’être juste un corps à soigner: mon cerveau disjoncte. Jeudi lorsque le soignant, sans le savoir, a rejoué un comportement de ma mère, à savoir prendre une position de sachant sur la chute de mes cheveux, mon cerveau n’a fait qu’un tour de colère, pour ensuite se mettre en court circuit. Oui parce qu’en plus la pensée magique lié à devoir être une bonne élève, s'ajoute le: "si tu fais bien ce que te dis celui que tu prends pour le sachant: tu auras une belle vie". Et en l'occurrence question cancer plus j’ai écouté les sachants, plus l’angoisse et la toxicité des traitements m’a emmené dans des douleurs insupportables. La lecture du compte rendu de mon passage en réanimation vient d'ailleurs de confirmer une hypothèse peut agréable pour moi:  Etat d'agitation aiguë secondaire à une crise d'épilepsie probablement en lien avec la toxicité de ma chimiothérapie.

Lorsque ma sortie du CHRU fut confirmée, l’Homme qui partage ma couche a maintenu l’organisation de garde des enfants initialement prévu pour nous permettre d’aller au Québec. Il m’a préparé une valise et m’a emmenée au vert dans les Vosges. Nous voici donc seuls, tous les deux, à la campagne, à dormir, manger, marcher, parler et à écrire.

C’est exactement ce que ce rêve est en train de mettre en scène, je suis en train de faire ressortir la terre cultivable de dessous mes vieilles frusques avec l’aide de l’Homme qui partage ma couche, parce qu’il me considère comme un Sujet qu’il écoute et à qui il parle. La métaphore de l’acte sexuel me vient à l'esprit lorsque j'évoque les plants de tomates de mon rêve, ceux que nous voulons planter ensemble dans les marches creuses de l'escaliers. Dans ce creux est contenu le sol, si précieux. Oui sans sol rien ne pousse et sans bois mort point de sol. Les vieilles vestes sont des représentations anciennes de mon père, de ma mère, de ma relation à la mort, à la maladie, à la perte, aux médicaments. Avec le temps et l’analyse, je peux dire que cette relation au mal de mon corps est comme moulée à cette forme de mes marches d’escaliers: un espace vide censé permettre à la vie d’y grandir: un sexe de femme en somme. Le traitement de mon cancer me change le corps, comme une mue: ma peau tombe par portion, mes cheveux également, toutes mes vestes tombent: je suis nue comme un vers ou comme un bébé naissant à sa futur vie. 

La lecture de ce qui a été considéré par les êtres humains des urgences comme mon arrêt cardio-respiratoire me fait associer à une naissance, encore. Passé la terreur d’assister à ces pertes qui sont non sans me rappeler: la perte inaugurale de mon zizi et la création de mes marches d’escaliers munies d’un trou, me vient le désir d’y planter des choses: les tomates de mon mec. C’est son désir pour moi en tant que Sujet, qui comme dans un écho vient me permettre de parler de mon propre désir, celui de vivre et de naître à nouveau à moi même. Alors la peur de mal faire lâche, je laisse tomber la peur de faire mal, qui en diminuant laisse un brin d’espace à un mieux être, celui d’un Sujet moi même qui prend plaisir à vivre. La lecture de ce que les êtres humains des urgences ont écrit ayant considéré comme un arrêt cardiorespiratoire (c'était pas long hein :-) pis ils étaient là) m'a fait pleurer à chaude larme. Je les remercie de la délicatesse de leur écriture et de m'avoir prodigué les soins qui m'ont permis de reprendre une respiration autonome quelques minutes après le début de leur massage. 

Je confirme à l’heure de mes recherches la fonction primordiale de la psychanalyse: écouter le Sujet, ce qui a pour effet de lui permettre de fabriquer du Sujet lui même et ainsi de vivre. C'est parce que je me sens aimé par celui qui m'écoute que ça fonctionne.  En tant que psychanalyste j'écoute mes analysants parce que j'éprouve quelque chose pour eux, c'est parce que je les écoute avec ce que j'éprouve que la fonction psychanalyse leur permet à leur tour de fabriquer du Sujet eux même.

J'ai envie de conclure sur le regard du Professeur Docteur, celui qui a dû œuvrer (avec d'autres) par ses gestes techniques à me sauver la vie. Pourtant ce que j'en retiens c'est la profonde humanité que j'y ai lu et pas tant la technique dont il a fait preuve. 
Je prends le temps de ce témoignage pour signifier qu'au delà de l'alcôve d'un cabinet de psychanalyste, la prise en compte d'un Sujet dans ce qu'il dit et ce qu'il ressens par des personnels médicaux, des travailleurs sociaux, passants..., ça vient aider à  la récupération psychique ET physique.

Christine DORNIER | Psychanalyste | Besançon


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