Le podcast de La Matrescence : Comment faire baisser les conflits avec les adolescents? avec Emmanuelle Piquet, psychothérapeute, me fait réagir sur ce qu’est ma représentation de la discipline dite psychanalyse et comment le travail transdisciplinaire trouve un écho dans ma pratique.
Au-delà du dogme et des fidélités à une discipline particulière, je ressens un véritable plaisir à entendre d’autres voix, d’autres écoles, comme la voix d’Emmanuelle Piquet. De là où elle parle, elle vient déposer quelque chose qui me fait réagir, du genre : “Ah punaise, elle aussi, elle pose ces hypothèses là sur les questions liées l’adolescence.” Une résonance inattendue qui émerge. Merci Emmanuelle !
Après le visionnage de cette vidéo qui a été pour moi un pur régale, je me propose ici de vous écrire ce petit quelque chose qui m’a gratté.
Extrait de la vidéo, elle répond à la question qu’est ce que l’adolescence pour vous: “…Parce que l'adolescence, c’est un concept qui a été complètement créé par le monde adulte et qui est assez récent en fait. Il date de la fin du 19ème, début 20 ème. Alors il a beaucoup de faits, en tout cas de personnes qui se sont penchées sur son berceau. Il y a la psychanalyse notamment beaucoup, qui a beaucoup travaillé la dessus, on va dire au milieu du 20 ème. Et en fait ce qui en a été ressorti c’est que c’est une période forcément critique. C’est à dire que Mélanie Klein disait même qu’être bien à ce moment là c’est anormal en fait. On doit ne pas être bien. Alors c’est très étrange parce que c’est pas vrai, c’est à dire qu’il y a plein d’endroits sur la Terre où l’adolescence n’est pas un problème, où il n’y a pas toute cette… légende autour de ça”
Ce qui me dérange profondément, c’est l’idée que la psychanalyse puisse être perçue comme une des disciplines ayant forgé cette représentation de l’adolescence en tant que problème. Je n’aime pas entendre cela, ça m’irrite. En fait, ce qui m’ennuie se déploie à deux niveaux.
- D’une part, cette idée que des sujets, en tant qu’êtres humains, puissent suivre les paroles d’un autre comme si elles constituaient une vérité universelle, comme si une parole pouvait s’imposer au-delà du singulier, me dérange. Mon irritation se loge ici : Je me sens appartenir à ce corps de personnes qui s’intéressent à la psychanalyse, en tant que psychanalyste et analysante, et pourtant jamais je n’ai considéré que l’adolescence était un problème. Ce qui m’irrite, c’est cette formulation universalisante qui affirme : “la psychanalyse a fait que…” Alors soyons clairs, hein, le point d’irritation, il est en moi. Il parle de mon identification à ce corps des psychanalystes. J’aime pas cette idée, mais puisqu’elle est là, la nier serait juste une nouvelle tentative de censure. Avec le temps et l’analyse, je peux aujourd’hui repérer plus rapidement ce qui est en jeu pour moi : ce désir d’appartenir à un corps, avec le risque immédiat d’en être exclue. Pour ceux qui aiment le vocabulaire psychanalytique, je parle ici d’une modalité de représentation de ma castration. Revenons en à ce qui m’irrite : comme je me sens faire partie du corps de la psychanalyse, et que je ne pense pas que l’adolescence soit un problème, il y a une partie de moi qui s’énerve : “Sérieusement, d’où elle parle à ma place, et en plus pour dire un truc avec lequel je ne suis même pas d’accord ?”
- D’autre part, l’adoption par certains psychanalystes de la posture du “sachant” a pu amener leurs analysants, ou encore élèves, à se percevoir comme des disciples d’un dogme dont le sens leur échappe parfois. Ce qui m’interpelle ici, c’est que je ressens moi-même, à certains moments, la tentation de devenir “la sachante”. Or, le travail du psychanalyste s’appuie justement et en partie sur la distinction entre l’idée / le fantasme et son passage à l’acte dans la réalité quotidienne. Le psychanalyste poursuit justement son propre travail d’analyse pour maintenir cette distinction cruciale entre fantasme et réalité. Car c’est en ayant une fine connaissance de lui-même à travers cette différenciation qu’il peut véritablement écouter la personne qui vient lui parler. La capacité de se repérer dans cette dualité permet à l’analyste de rester en contact avec la part inconsciente de l’individu qui se manifeste à travers des rêves, des lapsus ou des actes manqués.
Ce positionnement de “sachant” vis à vis de leurs analysants, dans la réalité de vie de veille, chez certains collègues psychanalystes, est pour moi une déviation de l’éthique psychanalytique. Il s’agit ici d’une grave erreur tant dans l’éthique que dans la méthode. En effet, penser savoir à la place du Sujet que l’on écoute, c’est le rendre objet de notre imaginaire. Or rendre un Sujet objet de notre imaginaire, de notre discours, et bien ça tue le Sujet justement. Je rappelle ici que l’idée en psychanalyse c’est de soutenir l’advenue du Sujet justement, donc si par une dérive méthodologique on en vient à l’annihiler, c’est quand même sacrément à côté de la plaque. Au-delà d’un simple dérapage, c’est aussi l’emprunt d’une voie qui, conduisant à des passages à l’acte, vient comme justifier le fait qu’un professionnel vienne penser à la place du Sujet qui est écouté. Cela reste une hypothèse, mais elle interroge profondément la pratique et la dérive potentielle de cette relation.
Nota bene : Ce sont ici des facettes de la psyché que connaissent bien ceux et celles qui explorent leur inconscient.
Je pense que certains courants de la psychanalyse ont effectivement contribué à forger cette idée de l’adolescence comme problème. Cependant, pour moi, la discipline psychanalytique est bien loin de cette vision réductrice. Ce sont plutôt certains discours de figures publiques de la psychanalyse qui ont promu cette idée. En tant que praticienne, je ne vois pas l’adolescence sous l’angle de la pathologie, du problème. La psychanalyse, telle que je la pratique, n’a jamais eu pour but de figer une phase de vie dans un cadre problématique. Elle permet au contraire d’accompagner chaque Sujet dans son mouvement unique vers l’individuation, quel que soit son âge.
Je ne partage donc pas cette idée que l’adolescence soit en soi un problème. Pour ma part, je fais l’hypothèse qu’à tout âge, le Sujet-enfant oscille entre deux mouvements : chercher les bras des parents et, dans le même temps, tenter de s’en défaire pour advenir au monde en tant qu’être humain à part entière. Ce processus est une dynamique normale et inhérente à la vie psychique du Sujet. L’adolescence a ceci de particulier que l’enfant qui a grandi cesse de voir ses parents comme des idoles ou des figures omnipotentes. Ce n’est plus dans leur regard qu’il trouve sa validation, et c’est là que souvent surgit ce que l’on appelle la “crise”.
Or, je crois fermement que le désagrément ressenti durant cette période vient en grande partie de l’adulte, et non pas que de l’adolescent. L’adulte, souvent déçu par ce changement de dynamique, doit affronter un questionnement personnel profond : pourquoi ai-je eu un enfant ? Que vais-je devenir avec mon enfant qui part ? Dis autrement que vais je devenir sans mon enfant? Comment le fait d’avoir un enfant a défini mon identité ? Qu’est-ce que cet enfant représente pour moi ? Ce basculement, ce moment où l’enfant cesse d’être un miroir idéal, interpelle l’adulte dans sa propre relation à la parentalité. En fait, l’adolescence questionne tout autant l’adulte que l’adolescent lui-même. Pour celles et ceux qui souhaite en lire plus sur mes travaux à ce sujet: cliquez ici
Ainsi, ce qui m’ennuie dans certaines approches de la psychanalyse, c’est qu’elles tendent à poser un savoir absolu, une vérité universelle à laquelle les Sujets humains seraient contraints de se conformer. Bon, la psychanalyse n’est pas la seule discipline qui tend à glisser sur ce phénomène de la bonne parole hein ! Or, je trouve cela dangereux. Le cheminement de chacun est unique et ne peut être appréhendé à travers le prisme d’un savoir qui se prétend totalisant. En outre, certains psychanalystes se sont laissés enfermer dans une imbrication trop étroite avec le champ médical, revêtant ainsi l’habit du « sachant » et s’éloignant de l’écoute singulière qui devrait être au cœur de notre discipline.
En somme, ma pratique de la psychanalyse consiste à remettre l’ensemble des travaux qui me sont accessibles au banc d’essai dans mon laboratoire, afin de poursuivre la recherche et d’affiner les trouvailles. Je vois dans cette discipline un espace où chaque Sujet peut advenir dans sa propre temporalité, à l’écart des dogmes et des schémas préconstruits. Une piste pour continuer à approfondir la compréhension et l’accompagnement des personnes passe, à mon sens, par un travail transdisciplinaire, mené par celles et ceux qui ont le désir de continuer à explorer ce qui constitue l’être humain dans toute sa complexité.
D’ailleurs, Emmanuelle Piquet, bien qu’elle vienne d’une autre école que la psychanalyse, partage dans cette vidéo des réflexions sur sa pratique qui résonnent avec ce que je trouve au quotidien dans mon laboratoire et dans ma pratique. Dans une large mesure, je me retrouve dans ce qu’elle partage sur l’accompagnement des individus. Alors je vous conseille le visionnage de la vidéo et je vous propose de pourquoi pas, un jour, nous offrir le luxe de nous en reparler en tant que Sujet, ici ou ailleurs.
Christine Jeudy | Psychanalyste | Besançon