Suivez-nous
Cliquez ici pour configurer vos réseaux sociaux

On m'a coupé mes tomates

Là où je m'attendais à les voir il n'y a rien

Le rêve

Le rêve vient faire le focus sur la bande de terre devant le 97. Mes plants de tomates ont disparus, reste un par terre couvert de mousse et quelques branches de lierre qui s’accrochent au mur de pierres blanches. Les feuilles de ce lierre ont les bords rougeâtre.

L’analyse

En avoir plus, plus grand, plus haut, que les autres

Je suis très fière de mes tomates de trottoir. Fière parce que les gens en parlent dans toute la rue, mais aussi parce que lors de réunion plus officielle elles sont aussi ��voquées comme témoin d’un possible que beaucoup estimaient impossible: des légumes en ville en petite surface.
Lorsque les gens me demandent comment j’ai pu les faire pousser si haut, j’ai un sentiment de contentement incroyable: j’ai les plus grands plants de tomates du quartier.
Mais alors pourquoi mon rêve met il en scène une disparition de mes plants de tomates là où ils devraient être?

Là où je m’attendais à voir quelque chose: il n’y a rien

La veille, une échographie de contrôle m’a informée qu’un kyste de 7 centimètres a poussé sur mon ovaire gauche et quelques uns plus petits sur le droit. A l’annonce de cette nouvelle l’émotion m’a prise, de profondes larmes.
Vingt ans plus tôt une même trouvaille a eu lieu, par hasard. S’en est suivit deux choses:

  • d’abord l’ablation de ces kystes
  • et ensuite un suivi coloscopie tous les trois ans parce qu’outre la découverte du kyste, les blouses blanches m’avaient trouvées des polypes dans l’intestin.

A l’écriture de ce rêve m’est revenu un précédent rêve et son analyse: requin. Deux rêves à dates différentes de ma vie, de mon analyse et qui traitent tout deux de la représentation psychique de mon corps.

La hauteur de mes plants de tomates est à la hauteur de l’émotion que j’ai ressentie lorsque le médecin m’a parlé la veille et à ce que je ressens dans le rêve à la vue des tomates qui devraient être là et qui ne sont plus là: une émotion de douleur infinie.
La représentation, l’image d’une chose qui devrait être là et qui n’est pas là, ajouté à la grandeur des plants de tomates me fait de suite associer à l’idée de castration.

L’idée de castration, c’est le moment ou l’enfant se rend compte qu’il y a ou pas un zizi entre les cuisses de la moitié des êtres humains: qu’il y a une différence. Cette différence l’enfant se l’explique par l’idée qu’il y avait un zizi qui a été coupé.

Dis autrement l’absence de zizi pour de vrai est vu comme une absence de représentation du zizi là ou il devrait y en avoir un. ça laisse un rien, un trou. J’ai trouvé dans mes rêves des scènes ou je me dis qu’il y a rien là ou il devrait y avoir quelque chose. J’ai des analysants qui témoignent de moment de vie ou le cousin, le frère, le copain vient regarder sous une jupe et dit “y a rien”

Dans le champ de la réalité: pour de vrai, il n’y a pas de zizi / phallus / verge et bourses, sur un sexe féminin.

Dans le champ de l’imaginaire:

  • pour de faux, l’enfant attendait une représentation de zizi sur le sexe féminin: mais il n’y en a pas.
  • La représentation est absente/ y a comme un trou / un rien là ou il devait y avoir un zizi.
  • Ce qui vient tout de suite c’est " il a été coupé"
  • La représentation que le sexe féminin c’est un rien/un trou/un zizi qui manque.
  • L’absence de représentation du zizi amène une représentation du trou, c’est à dire de la castration/ c’est à dire de l’affect comme tel (parce que l’affect c’est le trou), c’est à dire de l’angoisse…
  • l’angoisse c’est le trou en tant que il pourrait y avoir quelque chose.

L’absence de présence du zizi pour de vrai, amène une absence de représentation du zizi là ou l’enfant en attendait imaginairement une. Ceci amène de suite une représentation de la coupe du zizi / castration, qui amène à son tour une représentation du trou.

Œuvre de Mickael Cheval

L’annonce de la présence du kyste m’a renvoyée tout droit à l’idée qu’il fallait le couper, couper un bout de moi tout comme dans l’idée de castration. Le risque de torsion de l’ovaire est bien réel. Une torsion de l’ovaire c’est des douleurs atroces, des vomissements et le risque de perdre l’ovaire suite à l’arrêt de vascularisation. Un kyste de 7 centimètres, la taille d’une orange, vient en augmenter significativement le risque.

A la fois:

  • dans le champ de la réalité je vois une prochaine coupe nécessaire de quelques choses de mon corps
  • dans le champ de mon imaginaire je vois cette coupe comme un écho de ma castration.

“L’inconscient c’est le monde des enfants” disait Freud. Tout ce qui a été imprimé à cette époque reste, rien ne s’efface. Mais alors me direz-vous, quelle intérêt à faire une psychanalyse? Et bien ce qui peut bouger avec sa psychanalyse c’est le repérage de ce que je viens de vous conter, d’une castration comme une image inscrite dans mon monde d’enfant et non dans la réalité de ma vie de veille. Et comme un effet secondaire, parfois s’en suis un apaisement en vie de veille.

Une histoire à raconter

Les plants de tomates de mon rêve sont une métaphore de ce zizi imaginaire que j’ai l’idée d’avoir perdu et que je me récupère en vie de veille dans un glissement sur le maraichage de mes tomates.
La fierté que je ressens pour de vrai dans la réalité vis à vis de ces plants est un glissement de l’idée que pour être digne il en faut un gros / un grand / un fort: de zizi / d’enfant / de diplôme / de réseau professionnel / de plant de tomates / d’aventures. Ces plants de tomates que je cultive me donnent une histoire à raconter pour être digne de d’advenir au monde des maraichers. Le film le chevalier Vert met justement en scène Sir Gauvin bien en peine de raconter une histoire de chevalerie à son roi en échange de la place qu’il lui a permis de prendre à ses côtés. Pour ceux qui veulent aller plus loin je vous invite à regarder la vidéo d’analyse que Richard Abibon en a fait et le film aussi bien sûr. Dans ce film il est question d’advenir au monde de la chevalerie, comme moi maitre au monde du maraichage avec mes plants de tomates.
Qu’est ce qu’une psychanalyse si ce n’est raconter une histoire, son histoire, pour advenir au monde des Sujets être humain. C’est en racontant son histoire que l’analysant produit de la représentation de lui et du monde qui l’entoure. Ainsi il advient au monde en tant que Sujet à part entière.

La représentation de mon sexe, d’un sexe féminin

La mousse qui borde la maison aux pierres blanches est une représentation de mon sexe: des poils pubiens au devant de ma peau blanche. Le lierre est comme un ersatz de mes plants perdus, en témoigne la couleur rouge du bord de ses feuilles: un rappel de ce que je m’imagine comme une castration, une coupure d’un bout de moi qui a laissé à la fois un trou et du sang.

Il n’est pas rare de voir les enfants terrifiés lorsqu’ils s’égratignent la peau. Lorsque je les regarde ça me renvoie à moi petite, dans comment moi aussi j’ai dû avoir des frayeurs de ce type alors que pour de vrai la blessure était petite.
Aujourd’hui et analyse aidant, je peux y faire le lien avec l’idée de ma castration, alors ma réalité de vie de veille s’apaise. Aujourd’hui lorsque l’on m’annonce une futur opération pour m’enlever un kyste ovarien, j’ai de la tristesse et non plus la boule d’angoisse de mes vingt ans, ni la terreur de mes 5 ans.

Notre civilisation tend à laisser une place aux femmes plus respecté dans la société. Pourtant reste et subsiste tant de passage à l’acte contre elles: violence conjugale, salaire plus pas que celui des hommes, excision, habillement spécifique lié à leur sexe, parole moins entendues que celle d’un homme…
La jeune première ministre finlandaise, Sanna Marin, est à la fois le témoin de ces places que la société laisse dorénavant plus aux femmes et le témoin de comment elles sont épiées et doivent correspondre à un idéal somme toute encore bien ancestral. Une vidéo de fête est devenue le gros titre des tabloïds, elle a du s’en excuser et se soumettre à des tests de dépistages de substances illicites.

Cet idéal de la femme bien ancestral, je fais l’hypothèse qu’il est issu de la structure même de l’inconscient d’un Sujet, des Sujets. La valeur de la femme, à cause de cette histoire de castration, est vu dans l’inconscient comme diminuée par rapport à celle de l’homme. Ici j’ajoute que ce n’est pas la position intrinsèque de la femme qui engendre l’idée d’une valeur diminuée, c’est dans l’échange du phallus que prend naissance cette idée. Un truc du genre 1 (zizi) - 1 (zizi) = 0 (rien) et rien c’est franchement plus petit que quelque chose. Combien d’enfant se mesure, se compare la taille, le nombre de dents tombés.

Je trouve les mathématiques fantastiques parce que justement ils sont l’écriture de la relation entre deux éléments, chiffres, nombres, ensembles … Plus grand/ plus petit, le double de/ la moitié de…
La notion de plus grand / plus petit en est le socle est permet par la suite d’arriver à des raisonnement beaucoup plus abstraits. Les mathématiques ne sont pas une vérité universelle qui dirait que 0 est moins bien que 1. Ici c’est le petit d’Homme qui à la fois:

  • pour se fabriquer des représentations passent forcément par le repérage des différences qui l’entourent: différence sexuelle y compris.
  • à la fois repère dans ces différences des choses qu’il n’a pas et se met à les désirer parce qu’il les a vu comme manquantes et comme source de plaisir: maman, papa et zizi y compris.

La différence entre les sexes a ceci de particulier qu’elle parle du champ de mon corps, du corps de l’enfant, de ses parents et qu’elle se situent dans la zone de plaisir sexuel. C’est en cela qu’elle retient mon attention et celle que quelques autres. Que ça soit dans mes rêves, dans les films ou bien encore les contes et légendes du monde j’en retrouve une structure commune. L’expression est éminement particulière, et pourtant la structure qui compose ces histoires je la repère comme identique et moulée sur le duo Œdipe et castration.
Que ce soit dans le rejet de la différence sexuelle en tant que telle, dans le collage complet à l’idée d’une valeur de la femme amoindrie par rapport à l’homme, ou encore en pensant que parce que dans le champ de l’orthographe le masculin (j’avais écrit féminin) l’emporte sur le féminin ça pousse à faire croire aux garçons que la parole d’une femme à moins de valeurs que la leur: il s’agit à chaque fois d’une expression différente de la représentation que chacun se fait de la différence entre les sexes.

Je retrouve cette structure dans mon rêves. Même avec la perte de mes plants de tomates métaphore de mon phallus, je me réattribue quand même un, grâce au lierre grimpant, des tomates de substitution.

Lorsque j’ai su par échographie le sexe de mon deuxième enfants: une fille, j’ai eu un pique au coeur. Puis j’ai très rapidement eu l’idée que je l’aimais “quand même”, comme le lierre de mon rêve. Je ne suis pas fière de porter cette idée et pourtant elle est là. De plus ce n’est qu’une idée qui cohabite avec l’idée que je l’aime infiniment. Pour de vrai je suis fière d’être sa mère. Bien sur qu’il ne lui manque rien pour de vrai, ni à moi d’ailleurs. La réalité de notre vie quotidienne me fait découvrir davantage le plaisir d’être la mère d’une fille et c’est différent d’avec mon garçon. Dans la réalité de vie de veille c’est pas mieux ou moins bien, c’est juste différent.

La force de l’analyse

Rêves après rêve, j’ai pu accéder à une somme incroyable de représentations/ images auxquels je n’avais plus accès parce que vu:

  • comme idées agréables et interdites
  • comme idées désagréables

Aujourd’hui encore, nuit après nuit j’en trouve de nouvelles. C’est en écrivant pour ceux qui me lisent, ou en adressant mon histoire à des personnes qui m’écoutent, que parfois, parce que je leur donne les détails nécessaires à la compréhension que je trouve encore de nouvelle chose sur moi. C’est en m’entendant parler à ces autres de moi que parfois je me dis “ouaou mais ça je l’avais encore jamais vu”

Comme un effet secondaire, mon analyse est venue rendre ma vie de veille plus tranquille. Lors de la première annonce de mon kyste, un sentiment d’angoisse est venu me prendre les tripes. Puis comme à mon habitude j’ai comme oublié et remisé l’horreur dans un coin de ma mémoire, pour ne rien en savoir. J’ai retrouvé l’accès à ce moment où j’ai eu la sensation de passer l’idée désagréable dans des coins oubliés de ma mémoire. Dit autrement déjà à l’époque je me regardais en train de refouler.

Ici ça ne refoule plus, la représentation du pourquoi de mon émotion lors de l’annonce du kyste sort dans ce rêve: une annonce en écho à l’idée de ma castration. Oui d'ailleurs les tomates de mes plants de tomates elles font bien 7 centimètres elles aussi, alors que mon lierre lui n'en a pas.

Christine Dornier | Psychanalyste | Besançon

Requin
Une représentation psychique de mon corps