Suivez-nous
Cliquez ici pour configurer vos réseaux sociaux

Séminaire de psychanalyse libre et open source 2025–2026

Première séance

Autour du croire

Cette première rencontre du séminaire ouvre le cycle 2025–2026 dans la continuité des travaux de l’année précédente, centrés sur la naissance du sujet et la manière dont chacun habite son être humain. Le cadre demeure celui du parler de soi, un espace de parole sans hiérarchie de savoir, où chacun s’autorise à dire à partir de son expérience, sans chercher à interpréter ni à expliquer.

L’année s’ouvre sur un nouveau thème : le croire. Non pas comme adhésion à une vérité ou à un dogme, mais comme un mouvement intime, souvent silencieux, qui oriente nos gestes, nos élans, nos peurs et nos silences. Ce à quoi l’on croit, souvent sans le savoir, devient matière à travail psychique.

Une entrée par le souvenir

La première parole du séminaire introduit le thème par un souvenir d’enfance. Le croire s’y manifeste sous la forme d’une expérience corporelle et affective : la main maternelle posée sur le front fiévreux, la voix douce qui dit « ça va aller, le docteur arrive ».

Ce geste, chargé d’affect, opère une transformation immédiate de la perception du corps : je vais guérir.

Vignette 1 — Main fraîche et bascule vers “ça va mieux”

Enfance : fièvre, allongée dans le lit des parents, souvenir de la main maternelle « fraîche » posée sur le front et des mots « ça va aller, le docteur arrive ».

La simple présence annoncée du médecin, détenteur du savoir et du diplôme, provoque une bascule du « je vais mourir » au « je suis sauvée ».

À l’âge adulte, la scène se rejoue : la main posée sur le front de sa fille malade réactive la croyance première et la question du pouvoir de guérison par la parole et le geste.

À partir de cette scène, la question du croire comme effet de parole s’ouvre. Comment un mot, une main, une présence, viennent-ils opérer dans la psyché ?

Ce point de départ conduira les échanges à explorer les différents lieux où se loge la croyance : la famille, le soin, le corps, le langage, la foi, la société.

Le croire et la filiation

Une participante évoque sa mère, convertie au catholicisme à l’époque de ses dix ans. La maison devient alors un lieu gouverné par Dieu. Les dimanches à la messe sont imposés, les repas rituels avec les prêtres, et la moindre faute d’orthographe se paie d’une gifle « pour Dieu ».

Vignette 2 — Conversion maternelle et violence “pour Dieu”

La foi de la mère devient loi domestique. L’enfant vit la croyance religieuse comme effacement de soi au profit d’un idéal supérieur.

« Quand on croit à Dieu, on en oublie sa fille », dit-elle, décrivant une hiérarchie du croire qui fait passer l’amour filial au second plan.

Une autre, ayant longuement travaillé sur les dérives sectaires, souligne que la croyance a glissé bien au-delà du religieux : dans les médecines alternatives, les groupes de bien-être, les idéologies du développement personnel. Parler, dit-elle, c’est déjà croire, car la parole est traversée par les représentations.

Croyante, catholique assumée, elle distingue foi, confiance, conviction : des mouvements différents du croire, non réductibles l’un à l’autre. Prendre acte de ce croire l’a aidée à renoncer à la prétention d’une vérité absolue et à accueillir les vérités des autres.

Elle décrit aussi la société québécoise comme marquée par une haine du religieux qui nie toute distance entre les mots et les choses, au risque d’un fonctionnement psychique rigide : « un mot devient une chose ».

Le croire et la médecine

À ce moment, le croire prend la forme du rapport au soin.

Une participante raconte deux expériences fortes où la médecine s’est confondue avec la foi.

Vignette 3 — Deux scènes de “foi médicale”

  1. Une consultation avec un vieux médecin à l’air bienveillant : au premier regard, toute angoisse s’efface. Le simple visage du praticien évoque le grand-père. Le diagnostic rassurant parachève la guérison symbolique.
  2. Un gynécologue qui demande une photo du nouveau-né pour un album de bébés « tenus » par lui. Refus instinctif : peur qu’en donnant la photo, quelque chose de l’enfant soit capturé. La croyance en un pouvoir magique s’impose, inexplicable mais irréductible.

Une autre, par écrit, ajoute son propre souvenir.

Vignette 4 — Relais écrit : “prise en charge” qui apaise

Enfant malade, accueillie dans le lit maternel : « comme si elle était la cause de ma guérison ».

Adulte, lors d’une douleur au dos, le contact du médecin fait reculer la douleur : « mon mal a peur de toi ».

La patiente comprend plus tard que cette croyance dans la présence qui soigne rejoue son lien premier à la mère.

Le croire, le voir et le doute

La discussion glisse vers la relation entre voir et croire.

Une participante témoigne de son travail auprès d’une femme en grande souffrance psychique persuadée d’avoir vu un bébé pendu sous un pont.

Vignette 5 — “Voir” un bébé pendu et entrée du doute

L’écoute minutieuse des détails — comment était-il attaché, y avait-il des témoins, en a-t-on parlé dans la presse ? — introduit une fissure dans la certitude.

L’image s’efface peu à peu, la femme conclut : « laisse tomber… c’est mon imaginaire ».

L’expérience du doute agit comme une délivrance.

À partir de ce récit, plusieurs évoquent la piste à poursuivre : croire et voircroire et douter, comme mouvements simultanés, constitutifs du rapport à la réalité.

La foi déclarée

Un intervenant prend la parole : il se dit croyant, mais non pratiquant. L’éducation catholique reçue dans l’enfance fut sévère, mais la foi est demeurée un repère intime.

Le monde sans Dieu lui paraît « désespérant ». Il dit avoir besoin de croire pour vivre, là où il reste sans véritables convictions politiques.

Vignette 6 — Foi affirmée, non-pratiquante

La foi est ici boussole existentielle, non pas religion. Elle soutient le sujet là où le sens social et politique vacille. « Ceux qui ne croient pas me paraissent un mystère ».

Croire, voir, ne pas croire

L’exemple du mathématicien Cantor vient illustrer un autre versant : « je le vois, mais je ne le crois pas ».

Voir sans pouvoir croire, dit l’intervenante, a conduit cet homme au délire. Ce mécanisme du vu-non-cru rejoint les formes de déni qu’on retrouve dans l’impossibilité d’intégrer certains traumatismes, comme les abus sexuels : « je l’ai vécu, mais je n’arrive pas à le croire ».

Une autre prend la suite et décrit la période du Covid comme une expérience de réel insoutenable, nécessitant une dissociation pour tenir.

Vignette 7 — Déni, Covid et suites somatiques

Isolement, perte de poids, sentiment d’abandon. Le corps porte la trace de la peur. Un diagnostic hématologique vient ensuite inscrire durablement la maladie dans le temps. Le croire et la survie corporelle s’y confondent.

Une autre évoque une culpabilité d’enfance : la mort d’un frère à trois mois et la croyance d’avoir provoqué sa disparition.

Vignette 8 — Culpabilité infantile et “Dieu qui voit”

Enfant de trois ans, persuadée d’avoir « tué » son frère par jalousie. Cette croyance de toute-puissance se prolonge, plus tard, dans la religion catholique et sa logique de faute.

L’idée d’un Dieu qui juge rappelle le père lointain. « L’amour de loin, c’est terrible ».

Le croire et le corps

Le croire se déplace dans le corps.

Une intervenante décrit une expérience de dissociation pendant un stage : sensation de ne plus être tout à fait dans son corps, tout en sachant ne pas être folle.

Vignette 9 — Expérience dissociative en stage

État de stress intense, voix entendue « à côté de soi », impression d’être double. Nécessité d’une croyance minimale pour maintenir l’unité du moi.

Dans l’enfance, la paix ressentie dans une famille catholique amie contraste avec le chaos du foyer : « croire en Dieu m’a sans doute sauvée ».

Une autre relie croyance et sensations : le corps, dit-elle, croit avant les mots.

Vignette 10 — “Je sais ce que je sens” : douleur et crédibilité

Les sensations s’imposent comme certitude. Être « non crue » dans sa douleur équivaut à ne plus exister comme sujet.

Croire ce que dit l’autre, même sans le voir, devient alors un acte de reconnaissance.

Le croire, la parole et l’affect

À partir de là, la séance aborde la question du mot cru ou non cru.

L’exemple d’un « ma chérie » entendu de plusieurs bouches montre comment le même mot peut porter des sens radicalement différents : amour, mensonge, ou simple habitude.

Vignette 11 — Le mot qui ne dit pas la même chose pour deux sujets : “ma chérie”

Le mot, répété, perd ou change de valeur. Ce que l’une croyait être une déclaration d’amour n’était peut-être qu’un mot vide venant de l’autre. La croyance logée dans le mot se retourne en désillusion.

Une autre participante revient sur la confusion entre mot et chose, sur le risque d’aplanir les différences, jusqu’à « croire qu’on est la chaise ».

Elle raconte un rêve où elle se confondait avec un grand canapé moelleux, puis l’histoire d’un patient convaincu d’avoir « une table dans la tête ».

Vignette 12 — “J’ai une table dans la tête”

L’homme ne pouvait plus passer les portes, convaincu que la table était réelle.

Le travail de parole permet de transformer l’image en idée. La croyance, d’entrave physique, devient représentation symbolique.

Elle souligne aussi combien, dans sa pratique, certaines personnes croient que l’analyste sait pour eux.

Vignette 13 — Transfert et pouvoir attribué

La croyance dans le savoir de l’autre, vécue comme soulagement ou manipulation, oblige à un travail éthique : permettre au sujet de se réapproprier son propre savoir.

Un participant rebondit, racontant avoir lui-même vécu un déblocage après une séance, qu’il relie à une phrase prononcée par l’analyste, tout en expliquant que le changement vient aussi de lui-même.

Parler de soi, sortir du champ de bataille du croire

Au fil des échanges, le groupe revient à ce qui fonde le cadre du séminaire : parler de soi. Non pas débattre ni convaincre, mais se risquer à dire quelque chose de ce qui travaille en soi.

Car dès que la discussion glisse vers les grandes oppositions — fasciste, nazi, droite, gauche… — quelque chose se ferme.

Ces mots, lancés comme des étendards, deviennent les signes d’un croire collectif qui prend toute la place et empêche d’entendre ce qui, derrière, se dit vraiment.

L’hypothèse est fait qu’ici naît la disqualification de la parole de l’autre : lorsque la parole vient de l’opposition, je la disqualifie avant même de l’entendre.

On a alors rappelé que le travail ici n’est pas celui du jugement ni de la morale, mais celui de la parole subjective — celle qui parle à partir de soi, et non à la place des autres.

Vignette 14 — “Empowerment” et premier pas atteignable

Dans la clinique du quotidien, parfois, il suffit de soutenir un geste minime, un premier pas possible, pour que quelque chose se remette en mouvement.

Ce moment où l’on croit, juste assez, pour essayer.

« C’est ma propre croyance », dit l’un·e des participant·es, en reconnaissant que ce simple élan vers l’autre repose lui aussi sur un acte de foi.

Vers les prochaines séances

En conclusion, plusieurs axes de travail sont retenus :

  • Croire et parole : mots performatifs, transfert, affect.
  • Croire et corps : croyances incarnées, sensations, gestes de soin.
  • Croire et voir / croire et douter : articulations entre perception et conviction.
  • Croire et foi : religion, médecine, spiritualité.
  • Croire et culpabilité : fil transversal des récits.

Enfin, un appel à écriture est rappelé : la revue Ouverture du CEINR propose un numéro consacré au Parler de soi. Les participants sont invités à écrire ou dessiner à partir de leur expérience, prolongeant le travail du séminaire sous forme de traces publiques et anonymisées.

Clôture

La séance s’achève dans la reconnaissance du commun : avoir ouvert un espace où le croire se dit sans dogme ni jugement.

Croire comme mouvement vivant du sujet — dans la parole, dans le corps, dans l’histoire, dans le lien.

Séminaire de psychanalyse libre et open source — séance 1

Détails Pratiques

Dates des rencontres : 20 septembre 2025, 18 octobre 2025, 15 novembre 2025, 17 janvier 2026, 21 février 2026, 21 mars 2026, 18 avril 2026, 16 mai 2026.

Heures : De 16h à 18h (heure française).

Le monde s'est dédoublé
CLARA YSÉ: Le monde s'est dédoublé