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Psychanalyse d’un travailleur social sous perfusion d'acronymes.

Je m'essaye à la fiction… Ou pas.

Toute ressemblance avec un personnage de la réalité… Bla Bla Bla Bla … N'est finalement pas un hasard.

Je ne suis pas en souffrance, je suis en phase de repositionnement institutionnel.

Je suis travailleur social.

Je devrais dire actrice de terrain dans le champ de la cohésion sociale, ou médiateur de parcours pour publics en vulnérabilité socio-économique

Mais non, je suis travailleur social.

Je bosse avec des gens qui crèvent.

Des gens qui ont plus de toit, plus de droits, plus de dents.

Mais on m’a appris à parler comme si j’étais chargé de mission pour le lien social.

Je fais de l'accompagnement.

Mais pas trop.

Parce que l'accompagnement, maintenant, faut qu’il soit "empowerant",

faut “redonner du pouvoir d’agir”

sans jamais donner de pouvoir réel.

On me dit que les gens sont pas précaires.

Ils sont “bénéficiaires de minima sociaux”.

Ça fait plus propre, ça passe mieux dans les rapports d’activité.

On me dit qu’on travaille pas avec des galériens.

On travaille avec des “personnes en parcours d’insertion”.

Et c’est quoi leur parcours ?

Des cases à cocher.

Des ateliers CV.

Des bilans de compétences pour savoir qu’ils n’en ont pas le “profil”.

Mais hé ! Ils ont été orientés par la plateforme territoriale d'insertion.

Moi je bosse plus avec des humains.

Je bosse avec des usagers,

des publics,

des allocataires,

des personnes cibles.

Des cibles ! Comme au stand de tir administratif.

Et moi je suis plus un travailleur social.

Je suis interface entre les dispositifs.

Je suis agent de coordination inter-institutionnelle.

Je suis technicien du lien flingué.

Je fais des réunions de partenaires où personne ne se parle.

Je remplis des tableaux de reporting pour prouver que j’existe.

Je crée de la donnée sociale.

Pas du lien.

De la data.

On me demande pas si ça va.

On me demande “si je suis aligné avec le projet d’établissement”.

Et quand je dis que non,

qu’on fait de la merde,

qu’on maltraite les gens avec de jolis mots,

on me dit que j’ai un problème de posture.

On me parle de résilience professionnelle.

Mais j’appelle plus ça résilience.

J’appelle ça se taire pour pas crever*'.

Et quand je craque,

quand je dis que j’en peux plus,

on m’envoie en groupe de parole,

animé par un mec en chemise en lin qui parle de “prendre soin de soi dans la relation d’aide”.

Mais ce que je veux, moi,

c’est pas un atelier mandala.

C’est un syndicat qui gueule.

C’est un droit de retrait pour conscience professionnelle insultée.

Je veux qu’on arrête de “penser la bientraitance”

et qu’on commence à arrêter la maltraitance institutionnelle.

Mais ça, y’a pas de case dans le rapport d’activité.


Alors je parle.

Je parle sans filtre.

Je désinstalle le logiciel RH.

Et je dis :

  • Je suis travailleur social.
  • Je fais pas de la médiation. Je fais des miracles.
  • Je fais pas de l'accompagnement. Je fais des digues humaines contre la violence sociale.
  • Et si je parle cru, c’est parce qu’on me gave de mots cuits.


Et toi, collègue, si t’es encore là,

si tu sens que t’étouffes sous les acronymes et les tableaux Excel,

n’oublie pas :

le langage est politique.

Et quand tu changes les mots,

tu peux commencer à reprendre le pouvoir.

Un jour, on se remettra à appeler un pauvre, un pauvre.

Un droit, un droit.

Et un travailleur social…

un putain de héros fatigué.

"Dans mes cauchemars, il s’agissait bien de torture"
Les mots de Monsieur B