#MeTooInceste
Vidéo qui m’a donné envie d’écrire Merci à Lydwine Olivier pour la découverte.
Un préalable méthodologique
Je
trouve intéressant la manière dont la journaliste a travaillé pour
donner à voir plusieurs angles de vues sur la question de l’inceste.
La bienveillance dont la journaliste fait preuve sur les différents
courants anthropologiques qu’elle cite, sans induire un traitement à
charge contre l’un ou l’autre, donne à mon sens encore plus de relief à
son travail.
Je pense que ce positionnement Subjectif donne encore plus de valeur à
sa recherche et apporte un discours constructif qui amène encore plus à
faire grandir une mise en représentation plus collective de ce qui se
passe du point de vu anthropologique sur la question de l’inceste. Elle
permet de donner une représentation au cours des âges de la manière dont
la question de l’inceste est traité par la discipline anthropologie et
histoire.
En tout cas, la journaliste a au moins réussi à me donner envie d’en
dire quelque chose de mon point de vue personnel et depuis le champs
dans lequel je navigue: celui de la psychanalyse.
Dans l’énoncé des lignes que je suis en train d’écrire, il s’agit juste d’une représentation de ce que je pense. Cela ne vaut pas leçon de moral ni théorie universelle. Mon discours est à mon sens ni mieux ni moins bien qu’un autre, et le champ depuis lequel je parle, la psychanalyse, ni mieux ni moins bien qu’une autre discipline.
Et maintenant je passe au contenu
Un/une chercheur/chercheuse est un Sujet
J’ai beaucoup aimé ce que j’ai compris de l’intervention de Dorothée Dussy. Lorsqu’elle parle de comment le/la chercheur/euse, son histoire personnelle intervient sur comment il regarde/cherche/étudie une question. Moi j’y ai entendu que le passé du Sujet chercheur/euse joue dans la manière dont il/elle va s’empoigner la chose. Là je suis d’accord avec elle.
L’idée de l’inceste
Je continue la recherche autour de cette question de comment le Sujet a un impact sur la manière dont il étudie un sujet/objet d’étude. Je formule donc l’hypothèse suivante: l’idée de l’inceste et l’idée de l’interdit de l’inceste est présent chez tous les êtres humains.
Pour écrire cette hypothèse je me base sur des éléments de structures identiques que j’ai trouvé:
- dans mes rêves (je vous y renvoie pour lecture) et mes analyses
- dans ceux qui ont bien voulu me les raconter (mes analysants ou autres Sujets les publiant)
- et dans des grandes histoires ayant grand succès dans le monde, comme la légende du roi singe ou encore celle du roi Arthur (il y en a encore bien d’autres). Oui si elles touchent autant de gens, c’est bien que ça parle d’un truc commun que nous avons tous.
Rêves, films, peintures sont autant de représentations/supports permettant au Sujet de parler de ce que ça évoque pour lui (association libre) Alors lorsque certaines œuvres ont un succès parfois mondial, je me dis que ça touche les gens, ça le émeut et là ça dit quelque chose d’une corde sensible qu’à priori nous sommes beaucoup à porter.
Bien que l’expression soit extrêmement variée et individuelle, j’y ai observé une structure commune.
La structure de l’idée d’inceste.
En
préalable voici une définition du dictionnaire pour le mot inceste:
désigne une union charnelle, sexuelle illicite entre parents à un degré
pour lequel le mariage est interdit. Par exemple, la relation sexuelle
entre un parent et son enfant est un inceste, ainsi qu’entre un frère et
une sœur.
Alors ici je dis que le mot inceste est en lien avec le désir sexuel
pour un parent. Dans mon écrit lorsque je parle du mot d’inceste j’ai
toujours en tête le lien étroit entre complexe d’œdipe et inceste.
La structure de l’idée d’inceste que je vois se dégager est celle d’une idée de ménage à trois (parent1, parent2, enfant), avec l’idée à la fois:
- d’un désir sexuel pour l’un des parents (ça marche aussi avec la génération en dessous)
- d’un désir de ne pas le désirer sexuellement parce que ça serait faire mal à l’autre parent ou encore le mettre en colère.
L’idée de faire mal à l’autre parent est pénible:
- parce qu’il y a aussi le même désir sexuel pour lui (donc pas vraiment envie de lui faire du mal, au contraire)
- et puis, l’idée que l’autre parent puisse se mettre en colère implique un risque, celui qu’il se rebiffe contre l’enfant.
L’idée de
déplaire à l’un des parents engendre presque immédiatement pour le petit
une autre idée, celle que le parent censé être blessé pourrait lui
faire du mal en vengeance de l’idée de désir sexuel pour son autre
parent.
Cette idée de vengeance est vu par le petit comme une explication de la
différence entre les sexes. J’ai retrouvé l’idée dans mes rêves que ma
mère était à l’origine de ma perte de zizi, oui parce que j’ai aussi
l’idée récurante dans mes rêves d’avoir perdu mon zizi et de passer mon
temps à courir après. Coté garçon j’ai entendu le témoignage que pour
eux c’est le risque de le perdre qui est mis en représentation dans leur
inconscient.
Bien sur il y a tout un panel d’expression de ce que je vais nommer ici castration.
Le grand petit plus du croisement de regard entre disciplines
De
mes chaussures, quand l’anthropologie dit “L’inceste est interdit par
l’ensemble des cultures humaines” j’y entends en creux que l’idée de
l’inceste et l’idée de l’interdit de l’inceste est présent partout.
Ici, tout comme lorsque d’autres Sujets viennent témoigner de comment ça
se passe pour eux dans leur inconscient, le constat posé par
l’anthropologie, vient contribuer à confirmer l’hypothèse que j’ai
formulée à partir de mes observations dans mon laboratoire: l’idée de
l’inceste et l’idée de l’interdit de l’inceste est présente chez tous
les êtres humains
De l’idée d’inceste au passage à l’acte d’inceste
Lors
de la présentation des apports de Maurice Godelier ça m’a fait l’effet
d’un collage entre l’idée d’inceste et le passage à l’acte. Je
m’explique, j’ai compris que: pour l’anthropologie de l’après seconde
guerre mondiale, l’étude porte sur l’idée de l’interdit de l’inceste.
Lorsque la journaliste interroge l’auteur sur les études réalisées sur
la pratique de l’inceste, autrement dit sur l’inceste en pratique/comme
passage à l’acte, il se défend de suite: “on a déjà fait un sacré
boulot”
C’est l’anthropologie la plus récente, dont fait partie Dorothée Dussy,
qui a bougée le regard de la discipline sur l’inceste: de l’étude de la
prohibition théorique à l’étude de la pratique réelle et au
fonctionnement du silence et de la parole.
Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle au niveau de la structure de
cette évolution avec l’évolution de ma propre discipline: la
psychanalyse. Où comment parfois, il est complexe d’oser faire un pas de
côté dans la recherche propre à sa discipline, sans faire exploser des guerres de chapelles.
Le parallèle s’arrête là parce qu’il ne s’agit pas de la même discipline. Il ne s’agit pas de tenter de comparer des patates et des carottes. Cette pratique d’utiliser d’autres disciplines pour expliciter la discipline psychanalyse peut conduire à de la confusion, venant soutenir le processus de refoulement de l’idée que l’on ne veut pas voir: l’idée d’inceste justement.
Pour étudier la discipline psychanalyse ça passe par l’étude de son
propre inconscient et par l’échange de pratique de Sujet parlant de leur
propre inconscient.
Je
trouve plusieurs point discordant entre le discours tenu par la
journaliste sur les travaux de Dorothée Dussy et ce que je trouve dans
la pratique de ma discipline.
Par exemple, lorsque la journaliste dit que pour Dorothée Dussy, ça
serait pas l’interdit de l’inceste qui serait le propre de l’homme, mais
sa pratique, parce que à l’heure actuelle des connaissance aucune
espèce animal ne prend pour partenaire sexuel un partenaire sexuellement
immature" moi je dis autre chose.
Moi je fais l’hypothèse suivante: chez les êtres humains chacun porte
l’idée de l’inceste et l’idée de l’interdit de l’inceste. Or ces deux
idées deux faces d’une même pièce c’est tellement pas glope que souvent
les gens ça en parlent pas, c’est tabou. Et c’est tabou dans les deux
sens de la définition:
- caractère de l’inceste qui le désigne comme interdit aux membres de la communauté. Autrement dit interdit de l’inceste
- Interdiction d’employer le mot d’inceste due à des contraintes sociales, religieuses ou culturelles. Autrement dit interdit de parler de l’inceste
C’est tellement terrible à porter que peut de gens osent dire qu’ils ont cet idée d’inceste et l’idée de l’interdit de l’inceste dans leur inconscient. Peut de gens parle du passage à l’acte non plus, ni celui qui fait subir, ni celui qui subit. Alors, comme le relate Anne-Emmanuelle Demartini, même si dans la société française les gens parlent de l’inceste depuis 1870, ils en parlent d’une certaine manière:
- l’allusion
- l’hyperbole: c’est monstrueux, c’est odieux, c’est misérable, cette funeste passion
- la périphrase
Ici j’y entends de la morale, un profond dégout exprimé sur l’idée de l’inceste et sur le passage à l’acte.
A force d’analyse, j’ai fini par perdre le goût de merde dans la bouche
que j’avais lors de mes premières découvertes de l’idée d’inceste dans
mes rêves. A force d’analyse j’ai compris que le mot n’est pas la chose,
je ne suis pas l’idée dégueulasse que je porte.
De plus ce n’est pas parce que je porte l’idée dans mon inconscient que je vais passer à l’acte.
J’ai ensuite mieux compris le dégout que j’ai ressenti lorsque j’ai
accompagné la première personne de ma carrière qui avait été condamnée
par un juge pour pédophilie/inceste sur sa fille. La seule pirouette que
j’ai pu trouver à l’époque était de l’écouter sur ce que ça lui faisait
à elle d’avoir été jugée et incarcérée.
Aujourd’hui je suis encore pétrifié d’effroi, de terreur, de tristesse, quand j’écoute un Sujet témoigner de comment il a subit un passage à l’acte d’inceste. Je trouve ça terrible et les témoignanges donnent à voir comment le Sujet est alors violenté, comment ça se répercute dans des souffrances terribles.
Je suis heureuse qu’enfin notre société commence, je dis bien commence,
parce que combien d’enfants ont entendu le terrible “tait toi tu mens!”
cette phrase mortifère qui tue une deuxième fois le Sujet, à entendre
les victimes. Je suis heureuse que la justice commence à les prendre en
compte pour de vrai.
J’ajoute que j’espère que cette voix vers la prise en compte de ceux qui
ont subi un passage à l’acte d’inceste ne se transformera pas en chasse
aux sorcières de ceux qui osent parler des idées d’incestes qui leur
passe par la tête. Autrement dit j’espère que des espaces de paroles
resteront ouvert pour ces hommes et ces femmes qui ont accès à leur idée
d’inceste et ne parviennent pas à différentier le mot de la chose,
puissent parler sans regard jugeant, sans morale.
C’est à ce prix, le prix de la parole que peut être un jour nous
pourrons limiter le nombre de passage à l’acte. Nombre de passage à
l’acte qui est semble-t-il, reste stable depuis des dizaines d’années,
d’après les travaux des anthropologues.
Oui je le redis, je pense que c’est en parlant de l’idée de et surtout
en étant écouté pour de vrai par un autre Sujet, que celui qui repère
ces idées d’inceste et d’interdit de l’inceste pourra mettre un vide, un
espace entre le mot et la chose. C’est ce qui lui permet de comprendre
pour de vrai la différence entre l’imaginaire et réalité.
Ce processus vient soutenir un non passage à l’acte, à ce titre il est un moyen de prévention non négligeable.
Ce qui est interdit c’est le passage à l’acte, pas d’avoir l’idée. Or très souvent, quand le Sujet n’est pas au clair dans la différentiation entre:
- l’idée de l’inceste (C’est dans l'imaginaire)
- le passage à l’acte pour de vrai (C’est dans la réalité)
et bien il éprouve de la souffrance, sans trop savoir d’ailleurs d’où ça provient. Je me garde le droit de parler de cet œdipe, de ce désir d’inceste et de permettre à ceux qui en souffre d’en parler aussi. Oui parce que c’est en en parlant, qu’ils peuvent se dégager non pas du complexe d’œdipe et de ce désir mais plutôt de la souffrance associée. Parce que cette souffrance elle vient du refoulement, qui est nécessaire. Cependant, comme je le disais plus haut, il est important de dissocier refoulement et confusion entre le mot et la chose/ entre l’imaginaire et la réalité.
Christine Dornier | Psychanalyste | Besançon
Le 3 avril 2022