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France Culture va plus loin : Santé mentale, le mal du siècle ?

le retour du sens dans un champ déserté

Introduction

Le 7 mai 2025, sur France Culture, dans l’émission France Culture va plus loin, Marie-Rose Moro et Mathieu Bellahsen étaient invités à discuter autour de la question : Santé mentale, le mal du siècle ?

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Un titre qui pourrait prêter à sourire, tant il semble dramatique. Et pourtant, il résonne profondément. Il touche une corde sensible. Il met des mots sur une inquiétude diffuse, un sentiment partagé d’épuisement, de perte de repères, de morcellement.

Les voix de Moro et Bellahsen

Marie-Rose Moro,  pédopsychiatre, directrice de la maison de Solenn, et professeure à l'université Paris-Descartes , insiste sur la vulnérabilité des jeunes, sur les effets durables de la pandémie, sur les conduites à risque, les corps enfermés, les mots qui ne viennent pas. Elle parle de l’importance de ne pas réduire la santé mentale à un symptôme ou à un trouble, mais de l’envisager dans la globalité d’une vie, dans ses liens, ses ruptures, ses constructions.

Mathieu Bellahsen,  psychiatre de secteur en région parisienne, prolonge cette approche, en posant un autre angle de lecture : celui du contexte politique et économique dans lequel ces souffrances s’inscrivent. Il insiste sur le fait que la santé mentale est aujourd’hui infiltrée par des logiques néolibérales : protocolisation du soin, standardisation des pratiques, obsession de la traçabilité, pression à la rentabilité. Ce qu’on appelle « modernisation » ou « efficience » masque en réalité une transformation profonde : le soin n’est plus relation, il devient gestion. Le patient devient « usager », puis « coût ». Le travail clinique se dissout dans des logiciels. Et le sens, lui, se perd.
Je partage entièrement ce positionnement. Cette critique du tout psychiatrisation, qui isole les souffrances individuelles de leurs déterminants sociaux et politiques, me semble d’autant plus juste qu’elle vient souligner comment cette lecture psychologisante sert, en creux, les intérêts d’un système néolibéral : elle dépolitise les causes, elle pathologise les effets, elle isole les personnes au lieu de mettre en question les structures. Ces structures — sociales, économiques, institutionnelles — participent, en partie, à la genèse ou à l’aggravation des troubles psychiques. Les violences systémiques, l’injustice sociale, la précarité, l’isolement sont des facteurs pathogènes puissants. Cela n’exclut pas pour autant d’autres dimensions plus internes, plus singulières, liées à l’histoire de chacun, à sa conflictualité psychique, à ses impasses subjectives. Réduire le mal-être à une seule cause, qu’elle soit sociale, biologique ou psychique, reviendrait à passer à côté de sa complexité. Ce que dit Bellahsen, et que je tente de dire ici, c’est qu’il faut penser ensemble ces dimensions — sans les opposer, ni les dissoudre l’une dans l’autre. Le soin, pour rester vivant, doit tenir cette tension.

Mon expérience en tant qu’assistante sociale

En tant qu’assistante sociale dans le champ du social, plus précisément en SAVS et en groupe d’entraide mutuelle, j’ai côtoyé la psychiatrie au quotidien. J’ai vu des personnes dites psychotiques, en souffrance psychique profonde, parfois isolées, parfois en rupture avec les dispositifs traditionnels. C’est dans ce cadre là que j’ai approché la psychiatrie.

Je me suis tue. Longtemps. Par habitude. Par prudence. Par loyauté aussi, sans doute. Et par une forme de croyance : que le savoir, ce n’était pas moi. C’était eux. Les médecins. Moi, j’étais là pour faire le lien, pour traduire, pour accompagner. Pas pour penser à leur place. Et quand quelque chose en moi résistait, quand je me disais que non, que ça n’avait pas de sens, que ce patient n’avait pas besoin d’un neuroleptique mais d’un espace pour dire sa colère — je retournais le doute contre moi. Je me disais : tu n’as pas les bons mots. Tu n’as pas les bons diplômes. Tu n’es pas légitime. Ce que tu ressens, ce que tu perçois, tu dois le ranger, le lisser, l’ajuster au cadre.

Ce silence là, il parle de moi. Il parle d’un mécanisme intime, subjectif, intériorisé. Je ne veux pas le projeter sur les autres. Je ne veux pas accuser un système pour me déresponsabiliser. Ce que j’interroge ici, c’est ma propre construction de la parole et de sa validité. Ce pli de taire ce que j’éprouve au nom de ce que je crois être « le savoir ». Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce silence n’était pas neutre. Qu’il avait un coût. Pour les gens. Pour moi. Pour le soin, au sens large.

Le poids du silence et les risques de la parole

Mais ce pli individuel — ce refoulement au nom de l’ordre symbolique médical — ne vient pas seul. Il s’articule à une réalité bien concrète : dans ce champ là, parler est risqué. Dire que le protocole n’est pas adapté. Dire que l’hôpital maltraite. Dire que l’institution fabrique de la violence. Ce ne sont pas des critiques abstraites. Ce sont des gestes qui peuvent vous coûter. Une mise à l’écart. Une disqualification. Un silence en retour.

Et là, Bellahsen, encore lui. Ce qu’il dit, ce qu’il fait, ce qu’il a vécu. Ce n’est pas une posture. Ce n’est pas une indignation de salon. C’est un corps engagé dans le soin, dans le service public, qui a parlé — et qui en a payé le prix. En mai 2020, il alerte sur des enfermements illégaux en psychiatrie pendant le confinement. Quelques jours plus tard, une lettre anonyme l’accuse de harcèlement. En 2021, il est évincé de son poste de chef de pôle. Trois ans plus tard, le tribunal administratif reconnaît qu’il a été victime de représailles. Lanceur d’alerte, dit la Défenseure des droits. Soutenu par ses pairs, par ses patients, par des décisions de justice. Mais les blessures sont là. Et ce qu’il a traversé dit beaucoup de l’état du soin aujourd’hui : le système punit ceux qui tentent d’en préserver le sens.

Une invitation à repenser le soin

Alors oui, entendre aujourd’hui un médecin parler comme il parle — avec cette lucidité, cette force, cette fidélité au réel — ça me bouleverse. Ça me ramène à ce que j’ai tu. À ce que j’ai su, sans le dire. À ce que j’ai tenté, parfois, à voix basse. Et ça me donne envie, pas de hurler, non. Mais de reprendre la parole autrement. Avec douceur. Avec détermination. Et avec d’autres.

Parce qu’au fond, ce que dit Bellahsen, ce que je tente ici de dire aussi, c’est que le prendre soin est une affaire collective. Et je parle ici d’un soin qui dépasse les professions de santé. Un soin tissé à plusieurs voix : travailleurs sociaux, soignants, éducateurs, proches… et surtout, le patient lui-même, l’usager, la personne concernée. Accompagner, c’est faire équipe — et l’équipe, c’est aussi celle ou celui qui est accompagné. Penser que l’on peut soigner sans inclure la personne elle-même dans la fabrique de son soin, c’est rater quelque chose de fondamental. Ce n’est pas une posture politique, c’est une nécessité clinique. Et c’est un acte éthique.

Conclusion

Alors, ce que je retiens de ce podcast, ce n’est pas une information de plus. C’est un soulèvement intérieur. Le sentiment d’une continuité retrouvée entre ce que j’éprouve et ce que d’autres expriment. Et peut-être l’envie, à nouveau, de faire entendre ma voix. Pas pour avoir raison. Mais pour que le soin reste vivant. Humain. Et politique.

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