Suivez-nous
Cliquez ici pour configurer vos réseaux sociaux

"Dans mes cauchemars, il s’agissait bien de torture"

Les mots de Monsieur B

Introduction

Il y a des rencontres qui ne quittent pas la mémoire, pas plus qu’elles ne quittent l’âme.

Monsieur B en fait partie. J’ai été heureuse de le croiser sur mon chemin professionnel, de recevoir ses mots comme on reçoit une confidence grave, fragile, et pourtant solide dans sa lucidité. Et puis un jour, la nouvelle est tombée : il est mort. Une tristesse infinie, un silence lourd.

Aujourd’hui encore, ses paroles résonnent en moi comme résonnent ces voix que la société, le monde, n’a pas pu — ou pas su — écouter à leur juste valeur, et comme résonnent celles de tant d’autres êtres humains qui, sur cette terre, vivent toujours la même réalité.

Les mots de Monsieur B

Pour moi, être isolé était un bon moyen de me sentir protéger du bruit de la violence verbale des autres, je suis à la fois victime et coupable de ce que l’on raconte sur les maladies psychiques. Victime de la stigmatisation des schizophrènes comme étant violent, coupable de ma propre stigmatisation, c’est à dire c’est que je m’effraie de ce que je pourrais être, ce qui induit un regard tronqué le plus souvent, pour ne pas dire systématiquement, sur les patients qui m’entouraient alors à l’hôpital.

Cette stigmatisation me rend mal au point je crois de me rendre malade et par conséquence de considérer les autres comme violent. N’y a t il pas un effort d’information à faire sur la schizophrénie et les autres maladies psychiques.

C’est peut-être parce que l’on enferme le malades dans une étiquette, qui plus est qui renvoie à une maladie dite dangereuse que l’on fait de cette dernière une personne potentiellement dangereuse. LA question porte à la fois donc sur des préjugés d’une société qui condamne avant même de connaître, par son ignorance ou son indifférence. D’autre part sur le milieu médical psychiatrique, il devrait à mon sens s’engager dans un travail de désinformation objective.

Étiqueter quelqu’un par une maladie psychique et un matraquage me disait mon ancien psychiatrique. Moi, par métaphore, je dirais qu’on étiquette un troupeau.

En 2004, un généraliste me diagnostique schizophrène. On commençait alors de longue période d’hospitalisation, que je ne critique pas forcément en bloc, mais tout de même, j’en viens à me poser dans un premier temps une question sur l’effet pervers d’être enfermé ensemble entre des personnes dépressives et donc malheureuses me demandant ce qu’elles m’ont apporté de bien et me dit que si ma famille n’avait pas été là, j’y serais certainement encore (Merci la famille!) car hormis quelques entretiens et contacts avec l’équipe soignante, personnellement, je considère que se retrouver enfermé chacun avec ses problèmes n’est pas toujours chose aisée. Je pense plus particulièrement au hospitalisation en secteur fermé et aux toutes premières que j’ai vécu qui était un cran au dessus dans le registre de l’incohérence.

Je me suis en effet retrouvé avec des personnes qui me faisait très peur et il fallait survivre là, au beau milieu de ce vacarme et de cette agressivité. A 24 ans, ce n’était pas facile, certains étaient encore plus jeunes, et je me souviens d’une patiente en particulier, la majorité, se retrouvant attaché au lit. Ces fait m’impressionnait mais j’étais loin d’imaginer que cela me concernerait un jour. Il m’était déjà difficile de supporter la vue de cet torture alors que je n’en étais que spectateur.

A cette difficulté s’ajoutait l’infernale cohabitation avec des gens clairement plus « atteints » entre guillemets que moi.

On m’a saccagé dès ce premier diagnostic et dès ces premières hospitalisation mais ce n’était que le début. S’en sont suivis d’autres jusqu’au jour, au moment ou ce fut moi qui fut attacher à un lit, contenu comme on dit plus poliment, bien que l’on puisse ce demander cette politesse existe. Moi au début, j’étais poli, on m’avait enfermé une première fois suite à une fugue. Ma fugue n’avait pas duré. J’étais devenu très vite pas moi-ême et je ne m’attendais pas à ce qu’on m’enferme, c’est le protocole j’imagine. Tu fugues, t’es en HDT, t’es enfermé. Passons.

Ceci était rien comparé à ce qui me fit cauchemardé à maintes reprises au sens figuré comme au sens propre.

LA CONTENTION

La première fois, je me souviens que j’étais envahie par l’angoisse, on m’enferma en chambre d’isolement et comme si ce n’était pas suffisant, alors que je sonnais sans arrêter à l’interphone relié au médical soignant, on vint m’attacher, me contenir. Je n’étais ni impoli, ni agressif, mais c’était leur choix, celui du médecin.

Depuis les sangles ne cessent de me hanter. Le caractère inhumain voire indigne, j’ai envie de dire de cette intervention musclée me traumatise encore et sans doute à jamais. Par la suite il y a eu des fois où comme je vous l’expliquais au début, je préfère être isolé pour éviter la promiscuité avec les autres patients mais jamais attaché vous vous en doutez. On ne peut pas accepter de plein gré une telle sentence mais ce fut mon lot à l’hôpital et chez moi lorsque je rêvais de cette torture car oui, dans mes cauchemars, il s’agissait bien de torture.

Conclusion

Ces mots, il les avait prononcés à un colloque sur la psychiatrie, quelques mois avant sa mort.

Ils disent la stigmatisation, l’enfermement, la peur, l’effroi d’être réduit à une étiquette, et aussi la conscience aiguë de ce que ces violences font au dedans. Ils disent une vérité qui ne flatte ni la société ni ses institutions, mais qui nous oblige, enfin qui oblige au moins la fille moi même. Et si aujourd’hui je les relaye, c’est pour qu’ils ne soient pas dissous dans le grand brouillard des paroles perdues.

Pour moi, chaque être humain croisé dans ma vie, professionnelle comme personnelle, a laissé une empreinte. Monsieur B en fait partie, et j’y pense encore aujourd’hui. Publier ses mots, c’est simplement continuer à penser à lui — juste parce que c’était lui.

Faire commun : santé mentale, lien social et subjectivités en mouvement
Version courte