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Ce rien qui fait rire (et travailler)

Lorsqu’on entre — ou qu’on revient — en psychanalyse

C’est en regardant une humoriste que ça m’a sauté à l’oreille.

Oui, à l’oreille. Parce que certaines vérités s’entendent mieux qu’elles ne se comprennent.

Elle racontait son retour chez le psy comme on retourne chez le dentiste : “J’avais l’impression que c’était fini… mais ça recommence à faire mal.”

Et j’ai pensé à eux.

  • Ceux qui reviennent.
  • Et ceux qui arrivent.
  • Ceux qui disent “je pensais que c’était fini”,
  • et ceux qui murmurent un petit “je sais pas trop pourquoi je suis là”, en regardant le sol comme s’il avait la réponse.

Les uns veulent en finir. Les autres ne savent même pas ce qui commence. Mais tous — absolument tous — viennent chercher quelque chose. Même quand ils disent qu’ils viennent pour rien.

Et ce rien, ce n’est pas rien. Ce n’est pas un vide vide. 

C’est un trop-plein mal rangé. Un débordement compacté. Du silence qui fait du bruit. Des mots qui trébuchent sur leurs lacets.

Mais parfois, c’est aussi un vrai vide. Un vide qui ne demande rien. Un battement d’air. Un espace. Un souffle dans le récit. Quelque chose qui ne pèse pas, mais qui ouvre.

Et c’est là, dans la respiration entre le trop-plein et le vide, que le travail commence. Enfin, que quelque chose peut commencer.

Moi, je les écoute. Je ne les précède pas. Je ne les remplis pas. Je pose une question — la bonne, au bon moment, si elle vient.

Pas pour guider. Pour soutenir. Pour leur permettre de marcher sur leur propre fil. Parfois tendu. Parfois lâche. Toujours le leur. Parce qu’il faut parfois du vide pour que quelque chose vienne. Et parfois, il faut traverser le trop-plein pour entendre qu’en fait… c’est du vide qu’il s’agit.

Les premiers rendez-vous, ce sont des rencontres timides avec soi-même — par analyste interposé.

  • Ils veulent des réponses.
  • Moi, je propose des questions. Et surtout : je m’abstiens. Je laisse de l’espace. Du temps. Et un peu de silence — bien élevé, le silence. Il attend son tour.

Et puis il y a les rêveurs. Ceux qui débarquent avec un rêve encore chaud, posé sur la langue comme un mot d’excuse. “Qu’est-ce que ça veut dire, ça ?”, qu’ils me demandent. Comme s’il existait un dictionnaire universel du symbolique, avec un index.

Je souris. Et je leur rends leur rêve. Poliment. Parce que je confie toujours l’analyse du rêve au rêveur lui-même. Freud disait que c’est là que réside la différence : le rêveur parle, associe, cherche. Moi, je ne décrypte rien. Je ne touche pas aux escaliers. Ni aux dents qui tombent. Ni aux oiseaux qui explosent dans des avions en feu. Je ne décrypte pas. Je écoute.

Quand on me dit : “Vous pouvez m’expliquer ?” Je réponds : “C’est vous qui avez rêvé, pas moi. Moi j’ai dormi ailleurs. Et j’ai déjà bien à faire avec mes propres cauchemars.”

Ce n’est pas une pirouette. C’est une position. Une éthique. Parce que je ne sais pas, le travail peut commencer.

Je ne suis pas une solution. Je ne suis pas un oracle. Je ne suis pas une baguette magique. Je suis… un cadre. Une chaise. Un regard. Un silence. Je tiens la place. Pour qu’un autre puisse s’y découvrir. Ou s’y perdre. C’est pareil. Et parfois, entre deux silences, il y a une trouvaille. Un mot de travers. Un lapsus qui rate bien. Un rêve qui se retourne contre lui-même et finit par faire lien — pas avec une grande vérité… Mais avec quelque chose de vivant. De fragile. D’intime. De là.

Alors oui, merci à cette humoriste qui croyait que c’était terminé. Elle m’a rappelé que la psychanalyse ne finit pas. Elle transforme. Les retours sont des départs.

Un rêve qui ne se dit pas et que personne n’écoute reste un message sans destinataire. Et les rien, quand on les écoute, sont souvent pleins de tout.


Comment prendre le mot pour la chose peut faire passer à l’acte
Une discussion du grand réseau bleu qui date du 8 mars 2022