À celles et ceux qui s’efforcent de faire bonne figure, qui, par retouches et artifices, peau lissée, dents éclatantes, tentent de faire passer le fond de teint pour remède, le bien-être pour nécessité, et la quête esthétique pour un droit universel — alors qu’ils ne font que s’abandonner, avec style, à une liberté préfabriquée, une obéissance choisie, qui se rêve affranchie mais ne fait que reproduire l’ordre. Ils entraînent à leur suite des foules entières, captives d’un idéal lisse et lumineux, un rêve de beauté hors d’atteinte, où beaucoup finissent par s’oublier eux-mêmes.
Et je m’interroge — comment certains, quelques-uns, qui partagent les tables et les draps de figures du pouvoir, hommes ou femmes, peuvent vivre à ce point à côté du monde, comme si vendre du bien-être, du yoga, des routines de soin ou des programmes de développement personnel pouvait suffire à couvrir le bruit des décisions prises en haut lieu — décisions qui, à distance, déposent la fatigue, la peur ou la mort sur d’autres corps, d’autres terres.
Bien sûr, tous ne s’y prêtent pas. Certains résistent, s’éloignent, ou se taisent aussi, autrement. Mais d’autres — trop visibles pour être anodins — entretiennent ce récit doux, esthétisé, désincarné, où le monde semble pouvoir se réparer à coup d’alignements et de jus pressés, pendant que l’ordre, lui, se maintient… armé. Ce ne sont pas eux qui tirent, non. Mais leur monde d’en haut, leur quotidien d’agendas pleins, de rendez-vous feutrés, dessine parfois, sans même y penser, la route des projectiles. Ils ne tiennent pas l’arme ou la substance cancérigène, mais parfois la logique qui y mène — des chaînes de décisions, d’intérêts, de compromis, qu’ils suivent, qu’ils alimentent, souvent à distance de leurs effets réels.
Et pendant ce temps, ici, une vague de cancers silencieux monte dans les campagnes et les villes, des tumeurs que l’on soigne plus qu’on n’interroge (sauf quelques voix qui peinent à être entendues), des corps abîmés à force d’exposition, d’épuisement, d’invisibilité.
On parle de crise de la santé mentale, on multiplie les applis, les séances, les protocoles — mais on dit rarement que ce mal-être a souvent une adresse : celle du bureau, du supermarché, de l’hôpital, où un management abstrait, algorithmique, sans égard, tue à petit feu, sans laisser de trace visible.
Et je me demande — les décideurs savent-ils ce que provoquent, en bout de chaîne, leurs arbitrages et leurs discours ? S’en doutent-ils ? Ou préfèrent-ils ne pas savoir, comme on détourne les yeux d’une vérité trop dure à avaler ? Est-ce la peur de perdre, qui pousse à ne plus rien voir ? Ou simplement l’habitude de vivre hors sol, dans un confort si lisse qu’il efface toute altérité ? Je ne sais pas.
Mais même si c’était cela — la peur, l’évitement, l’aveuglement… cela n’efface pas la responsabilité. Car au bout du compte, en prendre encore à ceux qui ont peu, reste un choix, même silencieux. Et les silences, parfois, pèsent aussi lourd que les ordres.
Alors je me tourne vers ces autres — ceux qui partagent la couche des décideurs, ceux que je vois s’exposer dans leurs activités, qui parlent bien-être, beauté, conscience, comme dans un monde parallèle au monde qui vacille. Et je me demande, vraiment : comment vont-ils, pour de vrai ? Car la souffrance n’a pas de frontière. Et le sourire dents blanches n’a jamais prémuni personne contre ce qui fait l’essence de notre condition : un être traversé d’affects, qui tente, comme il peut, de composer avec ce qu’il est, parfois au détriment des autres, et de la planète qu’il habite.
MeliSsmell
était à l'affiche de la 15e édition du festival A do mi ci le organisée par "La Boutique de Jeanne Antide et les "Bains Douches" le 27 mai 2025 de 18h à 23h à la Rodia.
MeliSsmell "Une puissance primale et viscérale à la rage contestataire habite celle qui poursuit sa route en dehors des lignes droites. La voix de Melissmell, c’est la voix d’une artiste en survie, qui a connu la rue et l’identité du sans abri. Il vient de là ce cri à la fois puissant et vulnérable qui fait d’elle une artiste totalement à part sur la scène française. Accompagnée de Christian Olivier (Têtes Raides), Denis Barthe (Noir Désir) ou encore Matu (Indochine, Mano Solo), elle revient avec un album en forme de brûlot."
Site internet MeliSsmell
Christine Jeudy | Psychanalyste | Besançon