Cadre méthodologique du séminaire de psychanalyse libre et open source
Séminaire de psychanalyse libre et open source proposé par Christine Jeudy Dornier pour l’année 2024–2025.
Il s’inscrit dans la continuité des travaux menés conjointement avec Richard Abibon autour de la question du parler de soi.
Ce séminaire est un espace d’exploration de l’inconscient à partir de l’expérience personnelle. Le travail proposé repose sur l’observation de manifestations concrètes du psychisme, repérables dans la vie quotidienne.
Les cinq manifestations de l’inconscient
Cinq formes sont retenues comme points d’entrée vers l’inconscient :
- Le lapsus : dire autre chose que ce que l’on voulait dire. Il fait apparaître une vérité cachée ou un désir refoulé.
- L’acte manqué : rater une action de manière significative. Il peut signaler un conflit ou une tension inconsciente.
- Le mot d’esprit : jeu de mots souvent spontané, qui contient un sens latent sous une forme détournée.
- Le symptôme : manifestation physique ou psychique. Il signale un conflit non résolu et peut être interprété comme un message du corps ou de la pensée.
- Le rêve : suite d’images et de scènes survenant au cours du sommeil. Il donne accès à des désirs, des peurs ou des souvenirs enfouis.
Ces cinq manifestations servent de supports à une attention portée aux traces de l’inconscient dans le quotidien.
Méthodologie : pratique de l’inconscient et constats partagés
Le séminaire repose sur la pratique de l’association libre : chacun·e y prend la parole à partir de ce que l’argumentaire proposé en début de séance — élaboré au fil des rencontres, à partir des apports des participant·es et du travail de l’animatrice — fait résonner en soi. Il ne s’agit pas d’amener des éléments préparés à l’avance, mais de laisser surgir, dans le temps de la rencontre, ce qui se présente.
Ce sont les personnes présentes, et ce qui émerge de leur parole en lien avec cet argumentaire, qui donnent corps au séminaire. Ce n’est qu’après ce temps d’élaboration libre que des constats partagés peuvent se formuler. Ils ne précèdent pas les échanges, ils en sont le fruit. À partir de ce qui a été dit, entendu, traversé, se dégagent peu à peu des résonances, des écarts, des retours, des points de résistance. Le séminaire se construit ainsi, collectivement, dans le mouvement même de la parole.
Déroulement des rencontres
1. Temps d’association libre
À partir des cinq manifestations (lapsus, acte manqué, mot d’esprit, symptôme, rêve), chacun laisse venir les éléments qui se présentent, sans les ordonner ni les interpréter d’avance. La parole circule librement.
2. Repérage des constats partagés
En fin de rencontre, un travail collectif de mise en regard est mené. On observe les échos, les lignes communes, les décalages entre ce qui a été dit. C’est ce repérage qui forme les constats partagés.
3. Élaboration collective
Un texte peut être écrit à partir des éléments dégagés. Il ne vise pas à conclure, mais à garder trace d’un moment de pensée. Ce texte reste ouvert, modifiable, transmissible.
Ce billet de blog est destiné à laisser une trace de ce cadre de travail et des formes méthodologiques que nous expérimentons tout au long de l’année.
Première rencontre: Une ouverture plurielle au symbolique
Lors de cette première séance, nos échanges ont permis de poser les jalons d’une exploration collective du symbolique, ce domaine à la fois commun et profondément singulier. Ce qui est apparu, c’est la manière dont le symbolique opère une découpe, parfois fragile, entre ce qui est de l’ordre du fusionnel et ce qui relève de l’individuation.
Chaque voix a apporté sa résonance : le symbolique comme équilibre instable entre attachement et détachement, ou encore comme passage délicat de l’intérieur vers l’extérieur, de l’affect brut à sa mise en forme. Nous avons partagé des impressions, des intuitions, qui, bien que différentes, semblaient se rejoindre sur des points communs : l’attirance et la peur du vide, le mouvement vers la lumière, la tension du saut ou de la chute.
Il est aussi ressorti que la voix, dans sa dimension à la fois intime et projetée, est un vecteur essentiel de cette traversée. Elle porte une empreinte, un souffle, une matière sonore qui semble hésiter à se libérer, marquée par la tension entre le dedans et le dehors, entre la fusion et la séparation. Plus nous dessinons une représentation de nous-mêmes, plus nous marquons des bords, des contours, tout en restant traversés par une quête d’équilibre toujours mouvante.
Deuxième rencontre: La voix comme traversée commune
Si la voix a été au centre de nos réflexions cette fois-ci, c’est parce qu’elle se situe précisément à l’articulation entre le corps, le langage, et ce qui échappe à l’un comme à l’autre. La voix est un objet qui se partage, qui traverse, mais qui reste aussi profondément ancré dans la subjectivité. Nos échanges ont montré comment chacun en fait l’expérience, entre le don de la parole et les résistances qu’elle peut rencontrer.
La voix, en sortant du corps, devient une offrande – ou parfois une intrusion. Elle peut nourrir, relier, mais aussi imposer, blesser. À travers le partage de récits et de réflexions, il est apparu que ce don vocal est souvent marqué par l’affect : on parle pour quelqu’un, en réponse à une attente ou à un désir, mais parfois aussi pour se soustraire à ce qui est imposé. Le silence, à cet égard, est tout autant une prise de parole qu’un refus.
La dimension collective de cette réflexion a permis de repérer des résonances inattendues : la voix comme lien avec l’autorité parentale, avec la mémoire d’une voix maternelle qui enveloppe ou contraint, ou encore avec le poids du non-dit. Chaque partage a enrichi cette image d’une voix à la fois intime et universelle, oscillant entre le pouvoir de structurer et celui de perturber.
Troisième rencontre: Le corps comme lieu d’inscription
Dans cette séance, le corps a été envisagé comme un espace où se rencontrent le vécu des perceptions corporelles, les sensations issues physiquement du système neuronal, ainsi que les représentations que le Sujet en retire et se construit. Nos échanges ont mis en lumière la manière dont chacun perçoit et interroge son propre corps, à travers des récits empreints de subjectivité, mais qui, parfois, se font écho.
Le corps se construit dans le regard de l’autre : celui de la mère, premier miroir, mais aussi celui du père ou d’autres figures qui introduisent une limite, une coupure nécessaire à l’émergence du sujet. Cependant, ce regard, aussi structurant soit-il, n’est jamais neutre. Il laisse des marques, des traces, parfois des blessures. Chacun, à sa manière, a évoqué cette tension entre être soi et risquer de devenir l’objet d’un autre.
Ce qui est apparu, c’est aussi la manière dont le corps parle lorsque les mots manquent. Symptômes, douleurs, malaises : autant de manifestations qui révèlent des vérités enfouies, des tensions entre ce que l’on vit et ce que l’on arrive à dire. Mais ce corps n’est pas qu’un lieu de souffrance ou de passivité. Il est aussi un espace de transformation, traversé par le désir, par la quête de réconciliation avec soi-même et avec l’autre.
Nos échanges ont enfin souligné combien le corps, dans sa matérialité, reste une limite incontournable. Il nous ancre dans une réalité humaine, sexuée, et dans une finitude qui nous échappe. Mais cette limite, loin d’être une entrave, peut aussi devenir un point de départ pour repenser notre rapport au symbolique, à travers la parole, le mouvement, ou d’autres formes d’expression qui redessinent le lien entre intérieur et extérieur.
Certaines divergences ont été notées, en particulier concernant les référentiels de compréhension de la psychanalyse. Ces différences de cadres conceptuels, notamment en ce qui concerne la question du corps, ont suscité un certain inconfort.
Dans le référentiel issu des travaux de Lacan, une distinction notable est établie entre le corps réel, le corps imaginaire et le corps symbolique. Par exemple, le médecin qui soigne un corps ne traite pas seulement une “chose”, une enveloppe vide, mais bien un corps habité par la subjectivité du sujet. Cette distinction illustre comment le corps, au-delà de sa matérialité, est intrinsèquement lié à l’expérience et à l’histoire du sujet.
Cette perspective a pu engendrer un sentiment de confusion lors des échanges, rendant la discussion parfois moins fluide. Ces divergences mettent en lumière la richesse mais aussi la complexité des approches théoriques en psychanalyse, soulignant l’importance de clarifier les concepts pour favoriser une compréhension mutuelle et un dialogue constructif.
Quatrième rencontre: Il n’y a rien à voir
Au fil de cette séance, plusieurs fils se sont tissés autour des sens – la vue et l’ouïe principalement – et de la manière dont ces perceptions façonnent notre rapport à nous-mêmes, aux autres et à l’histoire familiale. L’ouïe et la vision, souvent perçues comme des fonctions évidentes du corps, ont été interrogées ici dans leur fragilité, leur perte et leur signification plus profonde.
La question de l’ouïe a d’abord émergé à travers l’expérience d’une difficulté auditive : une surdité partielle, une nécessité croissante des sous-titres, un trouble qui semble parfois survenir soudainement, comme une forme de rejet de certaines paroles ou de certains sons. Est-ce une coïncidence si cette difficulté auditive s’inscrit dans une lignée où le père était sourd ? Ou bien est-ce un refus inconscient d’entendre ce qui dérange ? La réflexion s’est élargie à une interrogation plus large : qu’est-ce que je ne veux pas entendre ? Est-ce lié à un chemin professionnel emprunté sous l’influence des autres, comme la psychanalyse, qui a d’abord été vécue comme une contrainte, une pression exercée par l’entourage ? L’écoute, en psychanalyse, a d’ailleurs été évoquée sous un autre angle : une analysante a raconté comment, au début de son analyse, elle avait ressenti l’écoute comme distante, sans approbation ni validation, et comment ce détachement lui avait paradoxalement fait du bien.
Le regard, lui, s’est imposé comme une thématique centrale, traversée par des tensions opposées : d’un côté, le besoin d’un regard structurant qui donne des contours et permet d’exister ; de l’autre, le regard qui fige, qui envahit ou qui fait défaut. L’expérience d’une perte de vision a ainsi été mise en parallèle avec l’expérience maternelle : une mère qui ne se rend pas compte qu’elle voit moins, qui ne perçoit plus pleinement son enfant, comme si son corps, lui, savait ce qu’elle refusait de reconnaître. Cette perte visuelle a été décrite comme une transformation du regard lui-même, une modification du rapport au monde et aux autres. Il ne s’agit pas seulement d’une déficience organique, mais d’un changement dans la manière de voir – voir dans un sens physiologique, mais aussi dans un sens plus psychique et symbolique.
Les souvenirs de troubles visuels sont remontés, notamment autour de périodes de crises personnelles. Une rétinopathie qui menace la vue, des yeux qui saignent à 25 ans, au moment d’une décompensation psychique. Et cette observation : En plus d’un traitement médical au laser, c’est précisément au moment où la parole a commencé à se déployer en psychanalyse que la décompensation s’est arrêtée. Comme si parler venait conjurer l’effondrement du regard. Ce lien entre vision et symbolisation s’est retrouvé dans l’expérience d’une participante qui a réalisé qu’elle voit peu de choses dans la rue, contrairement à sa fille qui remarque mille détails. Un regard rétréci, sélectif, qui témoigne d’un besoin de se contenir, voire de s’assurer de sa propre existence en se regardant soi-même plutôt qu’en regardant le monde extérieur. Ce besoin d’un regard extérieur structurant a été mis en lien avec le manque de regard parental, la nécessité de se recréer une image de soi en passant par le miroir, par la photo, par l’auto-observation.
Mais le regard peut aussi être une arme, un moyen d’exclure l’autre. L’expérience du regard fuyant est apparue : celui qu’on détourne volontairement, par rancune ou par punition, à l’image d’une mère qui, dans sa colère, cessait de regarder. Ne plus voir, c’est parfois effacer symboliquement l’autre de son existence. Cette dimension a résonné avec l’expérience de la découverte tardive de photos de famille jusque-là inaccessibles. Un père qui cache l’image du grand-père, comme pour effacer une histoire familiale douloureuse. L’émotion première face à ces photos n’a pas été la joie de retrouver une figure perdue, mais la colère d’avoir été privé si longtemps de cette image. Car l’absence d’une image empêche souvent la construction de repères, d’une continuité dans l’histoire familiale.
Ce pouvoir de l’image a été approfondi sous différents angles : la photographie comme trace du passé, mais aussi comme élément figé, presque mortifère. Voir une ancienne photo de soi, c’est faire face à une version de soi qui n’existe plus, un corps d’avant qui semble disparu. Le lien a été fait avec l’idée que parler de son corps au présent permet de ne pas être enfermé dans une image figée. Contrairement à la photographie, qui capture un instant et le fige, la parole permet de redonner du mouvement, de réintégrer le corps dans un processus vivant.
Le regard parental, crucial pour la structuration du sujet, a été interrogé sous un autre angle : être vu ne suffit pas, encore faut-il être nommé. Un regard qui ne reconnaît pas laisse un vide. Cela a trouvé un écho fort dans le témoignage d’une rencontre avec un père atteint d’Alzheimer, qui ne reconnaît plus sa fille, qui ne la nomme plus. Le regard est toujours là, mais il ne porte plus de signification. Cette absence de nomination a suscité une réaction corporelle forte : un rejet du contact, comme si l’absence de reconnaissance verbale rendait insupportable le toucher.
Enfin, une réflexion plus large s’est dessinée autour du manque. Ce qui nous a manqué dans l’enfance, nous le poursuivons souvent toute notre vie. Ce manque, au lieu de s’effacer, devient une quête, un vide que l’on tente de combler sous différentes formes. Pourtant, il n’est pas toujours possible de combler ces absences ; il faut parfois leur donner une place, une forme, une symbolisation. C’est ici que le rôle du symbolique devient fondamental : la parole, l’art, l’écriture peuvent permettre de donner des contours à ce qui reste autrement impalpable.
L’image et le corps ont été mis en tension dans cette séance : le corps vivant, mouvant, marqué par le temps, contre l’image figée, parfois trompeuse, parfois insupportable. Cette tension est résumée dans la référence à Magritte et à La Trahison des images : ce que nous voyons n’est pas toujours ce qui est. L’image d’un corps n’est pas le corps lui-même, et pourtant, nous avons besoin de ces représentations pour nous situer.
En filigrane de toutes ces réflexions, une question centrale se dessine : comment habite-t-on son corps, ce corps changeant, ce corps qui porte les traces du temps et du regard des autres ? Comment vivre avec un regard qui manque, qui blesse, ou qui enferme ? La séance a mis en évidence l’importance de pouvoir dire ces expériences, de les symboliser, pour éviter qu’elles ne restent figées comme une simple image silencieuse.
Cinquième rencontre : De “Y a rien à voir” à ce qui se manifeste autrement
L’inconscient et l’expression du rêve
Lors de cette cinquième rencontre du séminaire de psychanalyse libre et open source, la réflexion s’est poursuivie autour des manifestations inconscientes et de la manière dont elles se donnent à voir autrement.
Cette réflexion a ouvert la discussion sur un autre mode d’expression de l’inconscient : les rêves, mais aussi les peintures, les films, et plus largement toutes les formes où ce qui échappe à la parole directe peut se dire autrement. La place du rêve a particulièrement retenu l’attention.
Le rêve, entre oubli et remémoration
Des participants ont partagé leurs expériences autour des fluctuations de la mémoire onirique. Certains ont traversé des périodes où les rêves affluaient chaque nuit, avant de connaître des moments où plus rien ne semblait émerger. L’un d’eux a raconté comment il avait acheté un cahier pour noter ses rêves mais avait fini par oublier pourquoi, jusqu’à ce qu’un rêve marquant le lui rappelle. Cette anecdote a illustré l’étrange fonctionnement de la mémoire et la manière dont l’oubli peut masquer une résistance à voir ce qui, pourtant, s’était déjà manifesté.
D’autres ont évoqué l’oubli des rêves comme un phénomène révélateur : s’agit-il d’une simple difficulté mnésique ou d’une forme de résistance inconsciente ? Une participante a mis en parallèle cette question avec le début de son analyse, lorsqu’elle disait ne rien avoir à raconter de son enfance. Elle a reconnu qu’en réalité, ce “rien” cachait une richesse insoupçonnée de souvenirs et d’affects refoulés.
Le rêve et la relation analytique
Plusieurs participants ont fait part du constat que l’analyse de leurs rêves les conduisait fréquemment à retrouver les mêmes éléments, notamment en lien avec Œdipe et la castration. Cette répétition a suscité chez certains une sensation de redondance, voire une frustration face à l’impression d’être enfermé dans un schéma interprétatif immuable.
Une participante, psychanalyste, a alors apporté un éclairage différent en témoignant de son expérience clinique : dans les cures qu’elle accompagne, elle n’observe pas nécessairement cette fixation, voir jamais. Cela a mené à l’hypothèse que la question du transfert et la singularité du psychanalyste lui-même influencent la manière dont les rêves sont entendus et interprétés. Ainsi, la récurrence de certains motifs pourrait être, en partie, amenée par ce qu’est le psychanalyste en tant que sujet et par sa propre écoute.
Une autre participante psychanalyste a réagi en proposant une hypothèse différente de celle énoncée précédemment. Elle a suggéré que l’apparente récurrence des motifs liés à Œdipe et à la castration pourrait ne pas être uniquement un effet de la relation analytique, mais plutôt un indicateur fondamental de la structuration de l’inconscient et de la psyché humaine. Cette hypothèse met l’accent sur le fait que si ces éléments reviennent de manière itérative dans l’analyse des rêves, c’est parce qu’ils constituent les bases mêmes de la construction psychique. L’échange a ainsi laissé place à une réflexion ouverte sur la manière dont l’interprétation des rêves est façonnée par le cadre analytique, la position de l’analyste et les structures fondamentales du psychisme humain. À ce stade, cette discussion reste au niveau des hypothèses.
Aujourd’hui, cet échange reste au stade des hypothèses, mais il a ouvert une réflexion sur la diversité des approches et des résonances analytiques en fonction de la dynamique propre à chaque cure.
Les échanges ont également abordé la diversité des pratiques analytiques face aux rêves. Certains participants ont partagé leur expérience d’une écoute qui a ravivé leur mémoire onirique, tandis que d’autres ont relaté une posture analytique qui a pu, au contraire, bloquer leur capacité à rêver. Cette variabilité met en évidence combien l’attitude de l’analyste peut influencer la relation de l’analysant à son matériel onirique.
La question du désir de l’analyste pour le rêve a été soulevée. Certains ont comparé l’acte d’apporter un rêve en analyse à celui d’un enfant offrant un dessin à son parent, espérant une reconnaissance. Cette attente peut orienter la manière dont le rêve est raconté, influençant à la fois son contenu et sa réception. Il est apparu que l’analyste doit adopter une position permettant à l’analysant d’examiner cette dynamique et de mieux comprendre ce qu’il rejoue dans la relation transférentielle.
L’éthique du psychanalyste a été interrogée sous l’angle de l’interprétation et de la place laissée à l’analysant. Il ne s’agit pas d’imposer une lecture figée du rêve, mais d’ouvrir un espace où l’analysant peut explorer et découvrir ses propres associations. Plusieurs participants ont souligné l’importance d’un cadre analytique respectueux, permettant au rêve de rester un matériau vivant qui se transforme au fil du travail analytique.
Le rêve, un texte en mouvement
Les participants ont comparé le rêve à un récit en construction, un texte où plusieurs niveaux de lecture sont possibles. Certains ont évoqué des rêves récurrents qui, au fil des années, ont changé de forme : d’abord cauchemardesques, ils ont progressivement perdu leur charge angoissante. Cette évolution a été interprétée comme un signe de transformation psychique.
D’autres ont insisté sur l’importance du temps dans l’interprétation des rêves. Un même rêve, relu des années plus tard, peut prendre un sens différent. Certains ont exprimé le besoin d’écrire leurs rêves et leurs interprétations, tandis que d’autres préfèrent laisser émerger ce qui doit émerger sans figer le rêve dans une signification définitive.
L’analyste, en offrant un cadre de parole, permet cette mise en mouvement du rêve. Plusieurs témoignages ont montré que parfois, ce n’est pas tant le contenu du rêve qui importe, mais la manière dont il est raconté, revisité, interprété dans le temps.
Rêve et oubli : Que signifie ne pas se souvenir de ses rêves ?
Plusieurs participants se sont interrogés sur leur difficulté à se souvenir de leurs rêves. Est-ce une question de mémoire, un refoulement inconscient, ou le signe que certains contenus ne sont pas encore prêts à émerger ? Certains ont témoigné qu’avec le temps, ils acceptaient mieux ces phases de silence onirique, percevant que leur travail psychique ne se faisait pas nécessairement par ce biais.
Conclusion : “Y a rien à voir”, vraiment ?
À travers ces échanges, il est apparu que ce que l’on croit être un vide – un “rien à voir” ou un “rien à dire” – est souvent un lieu où quelque chose cherche à se dire autrement. Les rêves ont été perçus comme une voie d’accès à l’inconscient, une manière dont ce dernier se manifeste là où la parole peine à se frayer un chemin.
Le travail analytique ne consiste pas seulement à interpréter les rêves, mais aussi à accompagner leur mise en récit, leur transformation, et l’évolution du rapport du sujet à ses propres productions psychiques. Plusieurs ont souligné l’importance du cadre analytique comme espace où la parole peut circuler librement et où les résistances peuvent progressivement être levées.
Sixième rencontre: La perte, une atteinte au lien, au travail, à l'intégrité
La séance s’ouvre sur l’évocation d’une dégradation matérielle vécue comme un arrachement personnel. Ce qui est abîmé, ce sont des objets produits par une classe, collectivement, et validés par l’institution. Leur destruction réveille une colère retenue, difficile à contenir. À travers ces objets s’exprime un investissement subjectif intense. L’effraction matérielle touche à l’intime, à ce qui a été mis au travail, et fait surgir une question : pourquoi cela atteint-il si profondément ? C’est une forme de dépossession, une atteinte à ce qui est perçu comme une extension de soi.
Le corps comme lieu de perte et de désidentification
La parole suivante aborde la perte depuis le corps, à travers une incontinence liée à une malformation de naissance. Il ne s’agit pas seulement d’un trouble fonctionnel, mais d’une crise de l’identité : la perte corporelle devient perte de soi. Le surgissement de l’incontinence impose de disparaître, de se retirer du regard de l’autre. Cette perte vécue à répétition oblige à recoller sans cesse l’image de soi, comme une identité fragmentée par cycles. L’environnement social, notamment le cadre professionnel, vient parfois entraver la possibilité de fuir, de se protéger, exacerbant la détresse. La tension entre complexité interne et pression extérieure crée un clivage : l’autre est perçu comme un corps social étranger, auquel il est difficile de s’identifier.
Le manque et la dépossession : du corps au symbolique
Plusieurs prises de parole soulignent une expérience du manque vécue comme une dépossession. Cela peut se produire lorsqu’un objet ou un espace – perçu comme sien – est envahi ou pris par autrui. Le sentiment d’avoir été « volé » ne touche pas qu’à l’objet, mais à une part de soi. Ce lien entre perte d’objet et perte subjective renvoie parfois à une construction imaginaire autour du phallus, de ce qu’on aurait ou pas, de ce qu’on aurait perdu ou jamais eu. Le corps, lorsqu’il est touché, abîmé, devient autre, moins autonome, plus fragile. Ce passage du corps fonctionnel au corps manquant bouleverse la relation au monde et impose une redéfinition de soi.
Remplir le vide, contourner le deuil
Certain·es partagent leur difficulté à ressentir le manque. Des deuils, des absences, sont vécus comme des présences intérieures, parfois figées. Des photographies, des objets, des habitudes viennent entretenir ce lien. Il est alors question d’une vie psychique très habitée, où le vide est comblé sans être traversé. Le recours à l’agir, au faire, permet de ne pas penser, de fuir le vide. Mais ce trop-plein, cette suractivité, peut masquer une angoisse plus profonde liée à l’irruption du manque.
Perte, absence, manque : distinctions et intrications
Plusieurs intervenant·es tentent de différencier perte, absence et manque. La perte peut être un événement : on perd quelque chose ou quelqu’un. L’absence est structurelle, constitutive de la condition humaine. Le manque, quant à lui, est un lieu de creux qui n’est pas un vide total. Il peut être source de désir, moteur d’un mouvement subjectif. Mais lorsque le manque se vit comme vide, il devient angoissant, compulsif, insupportable. C’est parfois ce vide que comblent les addictions ou les objets substitutifs.
Imaginaire sexuel et castration symbolique
Certaines élaborations ramènent la question du manque à la sexualité : manque du phallus, fantasme d’avoir perdu ce qu’on aurait dû avoir, envie de combler ce trou par un enfant, un partenaire, un objet. Les représentations s’attachent à des images fortes : rêve d’un brancard, d’une castration opérée par une mère, d’un vagin vécu comme envahi ou bouché. Ces constructions imaginent, rejouent, traduisent symboliquement une difficulté à habiter un corps marqué par le manque ou l’atteinte.
Corps et image de soi
À travers le corps, la perte s’inscrit aussi visuellement. Une intervenante évoque un trouble métabolique et le rapport obsessionnel à ses courbes, perçues comme des métaphores corporelles de la perte paternelle. Le corps devient un écran, un terrain mouvant où se joue visiblement le manque, le trop, le pas assez. La parole des analysant·es est ainsi traversée par cette corporéité du manque.
Identité et dissociation
Enfin, la question de l’identité est revenue de manière transversale. Pour certain·es, il y a une multiplicité interne : plusieurs « moi » coexistent. Choisir d’en faire un appui permettrait de soutenir la parole. Mais cette parole reste fragile, parfois désancrée, surtout si le sentiment de sécurité fait défaut. L’identité s’évapore rapidement, ne tient pas sans un ancrage symbolique. Le réel, l’imaginaire, le symbolique s’entrelacent ici de façon déstabilisante.
Pistes communes et interrogations
- La perte peut masquer un manque, ou rendre son surgissement insupportable.
- Le corps est un lieu central d’inscription de ces expériences : ce qui s’abîme, ce qui fuit, ce qui ne tient pas ou se déforme.
- Le manque est parfois moteur, mais aussi source d’angoisse. Il demande à être symbolisé pour ne pas devenir un vide mortifère.
- L’identité, souvent évoquée, semble fragile, morcelée, recomposée à travers les épreuves du corps, de la parole, et des liens.
- Un point soulevé en clôture : et si le manque nous était conté ? L’idée d’écrire un conte collectif sur le manque émerge, comme tentative de mise en récit de l’indicible.
Septième séance: Naître – encore
Pour cette septième et dernière séance, nous avons poursuivi le chemin entamé ensemble depuis septembre. Un parcours qui nous a menés du symbolique à la voix, envisagée comme lieu de passage et de résonance, puis au corps, appréhendé comme espace d’inscription du sujet. Tout au long de ces étapes, un fil commun s’est tendu : ce « il n’y a rien à voir », entendu à travers différents lieux — le corps, l’inconscient, l’environnement de la vie éveillée. Ces traversées, parfois marquées d’arrêts, d’écueils, ou de reprises, nous auront permis de mieux cerner ce qui nous constitue. Dans notre chair, dans notre psyché, dans cet écart souvent douloureux entre ce qui se montre et ce qui demeure indicible.
Pour conclure ce cycle — et dans l’idée que nous avons, chacun·e, avancé d’un pas dans la tentative de dire qui nous sommes, au sens le plus intime et singulier du terme — il a été proposé de mettre nos voix au travail autour d’un thème fondamental : la naissance.
La naissance du petit d’homme, dans le champ du corps, de la chair, de l’arrachement. Et, en écho, cette autre naissance, plus lente, plus confuse parfois, par laquelle nous sommes devenus des êtres parlants, désirants, traversés par le manque.
Les participant·es ont ainsi été invité·es à parler depuis eux-mêmes, à partir de cet événement fondateur. À évoquer leur naissance biologique, ce premier passage, et à s’approcher de cette autre émergence : la naissance du sujet, toujours en chantier, toujours à relancer.
L’envol impossible : se séparer, mais à quel prix ?
L’ouverture de séance a porté sur un rêve marquant : une figure maternelle, évanescente, invite à s’envoler, mais la peur de tomber paralyse. Derrière l’envol, une chute possible. Derrière la séparation, une perte irrémédiable. Un départ imminent vers le pays d’origine réactualise une autre descente : celle, réelle, vers un lieu où la mère n’est plus. La question surgit brutalement : peut-on vraiment s’engendrer soi-même sans la bénédiction de la mère ? Comme si le détachement sans son aval équivalait à une trahison, une faute, une chute dans le vide.
Cette tension entre envol et chute, entre détachement et fidélité, entre naissance et perte, traverse de nombreux récits de cette séance.
La mère dans la tête : sortir pour naître
Un autre témoignage souligne que la sortie du corps maternel ne suffit pas à « naître ». Il faut parfois des années pour sortir de la mère dans sa propre tête. Le travail de séparation psychique peut être long, conflictuel, semé d’angoisses. La naissance du sujet apparaît ici comme un effort de désidentification, de désaliénation, qui demande du courage et du temps.
Le lien à la mère, chez beaucoup, reste marqué par la dépendance, la culpabilité, voire la peur. Cette peur d’être seul·e, de trahir, d’exister pour soi. Pour certain·es, la parole elle-même est entravée, comme si dire — simplement dire — mettait en péril ce lien originel.
Naître pour ne pas mourir, ou mourir pour naître
Plusieurs rêves évoqués renvoient à des lieux clos, humides, chargés de spores et de moisissures, comme des matrices devenues toxiques. Des pièces où il faut sortir sous peine d’y étouffer. Des endroits familiers et pourtant dangereux, transmis, hérités, intergénérationnels. Ce sont des représentations métaphoriques du ventre maternel, que le rêveur·euse visite sans cesse, tout en sachant qu’il ou elle doit s’en échapper pour survivre.
Par moments, la parole devient survie : naître, ici, c’est fuir un lieu mortel.
Ce qui empêche de naître : la mère, la maladie, le silence
Pour plusieurs participant·es, la naissance a été empêchée ou compliquée dès le départ. Des mères absentes, fusionnelles, refusant de laisser l’enfant grandir. Des récits où le fait même de grandir est vécu comme un interdit, une trahison du lien filial.
La maladie, chez certain·es, a pris la fonction de rupture. Maladie auto-immune, accident corporel, hospitalisation prolongée… Ce sont autant de manières, parfois inconscientes, d’opérer une séparation, de s’extraire d’un environnement familial saturé. À travers la destruction du corps, un surgissement du sujet : paradoxal, douloureux, mais décisif.
D’autres évoquent le fait de ne pas avoir été désiré·es, attendu·es, nommé·es avant leur naissance. Des enfants venus « par erreur », confrontés très tôt au sentiment d’indésirabilité. Le ventre maternel y est parfois déjà habité par un père, une histoire, un frère plus aimé — un espace saturé d’affects et de représentations.
Renaissances, répétitions, réparations
Un récit particulièrement fort évoque une naissance biologique traumatique, suivie de multiples interventions chirurgicales. L’anus manquant, les occlusions intestinales, la menace constante de la mort. Mais aussi la conviction, avec le recul, que ces crises corporelles rejouaient un scénario de renaissance : des événements où le corps criait qu’il fallait naître, à nouveau, autrement.
Ici, la parole vient comme seul remède, seule issue. Le fait de pouvoir dire, même sans comprendre, même sans savoir, apparaît comme la condition minimale d’un travail psychique.
Le souffle, la mort, le mystère
Un autre axe de cette séance s’est articulé autour de la question du souffle. Le souffle comme ce qui nous est prêté à la naissance et que nous devons rendre à la mort. La respiration comme ligne de crête entre deux abîmes. La naissance du sujet se pense aussi là : dans cette capacité à faire entendre une voix, à prendre souffle dans la parole.
Certain·es évoquent la nécessité de ritualiser la séparation, par des gestes symboliques — enterrer un placenta, nommer un trauma, reconstruire une mémoire. D’autres convoquent des souvenirs de guerre, de soins, de blessures soignées avec ce même placenta devenu lieu de soin.
La naissance est alors pensée non comme une frontière nette, mais comme un passage continu, un cercle entre la vie et la mort, où les figures se mêlent, où ce qui donne la vie peut aussi réparer la chair blessée.
Parler pour ne pas être seul·e
Plusieurs prises de parole rejoignent une même intuition : la solitude est radicale — à la naissance, dans la maladie, à la mort. Mais le langage peut faire lien. La parole, ici, crée une autre forme de reliance, une communauté fragile, traversée de silences, mais non de mutisme.
Certain·es évoquent des parents absents ou sidérés face à la mort. Des enfances marquées par le non-dit, le tabou, la sidération. Des efforts de symbolisation, encore en cours. Une parole empêchée, mais aussi une parole rendue possible par cet espace commun.
Poursuivre : écrire, relier, affirmer
En fin de séance, plusieurs souhaits ont été exprimés pour poursuivre ce travail :
- garder une trace écrite, sous forme de synthèse, article de blog ou texte collectif ;
- explorer l’évolution personnelle, notamment dans le rapport à la mère ou à la filiation ;
- approfondir l’articulation entre expérience vécue et parole symbolisée ;
- maintenir cet espace rare, sans hiérarchie de savoir, où chacun·e peut dire sans être analysé·e, jugé·e, ou corrigé·e.
Pour certain·es, relire les synthèses a été une ressource précieuse. Pour d’autres, le fait même de parler ici a permis un mouvement psychique que l’analyse individuelle n’avait pas engagé. Pour toutes et tous, ce partage a eu des effets — effets de soulagement, de compréhension, de réappropriation.
Conclusion
Ce qui s’est vécu dans cette septième séance — et tout au long de l’année —, c’est une tentative de naître à soi-même dans la parole. Non pas dans une vérité définitive, mais dans un tâtonnement, un effort, une mise à nu. Ce qui s’est dit ne relève pas du savoir universitaire, mais du travail de subjectivation.
Naître comme sujet, ce n’est pas une donnée, c’est un processus. C’est aussi une traversée collective, lorsqu’un espace le permet.
Nous étions seul·es, peut-être. Mais à plusieurs