Une histoire tirée de mes séances de psychanalyse avec Richard Abibon.
Le rêve
Je commence un nouveau travail d’accompagnement d’un collectif de gens. J’ai ma première réunion avec des gens que je connais, mais pas forcément du boulot. Je les identifie à peu près tous autour de la table. J’arrive pour la réunion, je porte un gros dossier et je le tiens surement un peu de travers, il tombe et tout ce qu’il contenait s’étale par terre. Il y a aussi l’idée d’accompagner des étudiants et des stagiaires dans ce travail là et j’avais trois dossiers pour trois étudiants que j’avais accompagné. Là aujourd’hui on me fait passer leur diplôme. J’ai une amie qui est là, elle a exactement les même dossier, pour elle aussi faire passer à ses étudiants leur diplôme. Je rattroupe les feuilles une à une, il y a des dossiers de couleurs bleue, rouge. La réunion commence. Il y a plusieurs lieux d’exercices pour les professionnels. Moi je dois rester dans le côté central. Véro part plutôt sur Pontarlier par exemple… La journée commence, j’accueille les gens, je sens que je m’agace un peu quand j’entends parler les gens de psychotique, de schizophrène. Mais globalement je passe une belle journée sans trop me fatiguer. Le soir arrive il y a un repas de prévu sur des tables dehors avec un grand barbecue. Tout au fond il y a plein d’anciens collègues. Je les salue un à un, contente de les revoir. Réellement contente. F. est là. Je refais le tour de la table et je le serre tendrement dans mes bras. Il me repousse légèrement mais pas franchement et dit: “ouaou j’ai plein de frisson pourquoi?” le boulot me rappelle je dois retourner à l’intérieur. Je le laisse donc comme ça mais, je sais que je vais le revoir. A la fin de mon travail on monte dans la même voiture pour causer. Il me raconte qu’il a deux personnes avec qui il sort régulièrement, des amantes, que sa femme n’est toujours pas au courant et que c’est bien comme ça, qu’il a des histoires avec des femmes qui ne reviendront pas derrière. Alors je me mets à imaginer que pour moi ça serait possible avec lui parce qu’il a déjà l’habitude de ce cas là, de ne pas dire. Moi je ne veux pas perdre ce que j’ai déjà: mon mec
L’analyse
Ce rêve je l’ai soigneusement mis de côté en attendant le retour de vacances de mon analyste, autrement nommé mon homme aux fines oreilles. Raison première de cette censure, une honte toute particulière de livrer à la lecture d’un autre que lui, le fait que dans mon inconscient je puisse désirer un autre homme que le mien. Le cadre de mon analyse me permettant de parler à un autre accueillant ma parole sans jugement j’ai pu parler de ce rêve. Avec mon analyste pas besoin de cacher ou de travestir ce qui me vient.
Un positionnement moraliste dudit analyste m’aurait à coup sûr coupée l’herbe sous le pied. Cette chaîne de censure s’est désagrégée a pu se désagréger et laisser libre court à ma parole. La mise en scène que m’offre la dernière partie de mon rêve n’est autre que cette recherche permanente de mon phallus perdu et inhérente à ma structure.
L’image qui me vient est la suivante: je cherche un homme dans mon rêve, comme si je cherchais une nouvelle clé pour vérifier qu’il n’y en a pas une qui serait plus adapté à la morphologie de ma serrure, sans toutefois sacrifier celle qui officie actuellement. Le rêve prend la peine de me rappeler ce que je risque de perdre comme jadis je me dis avoir perdu mon phallus: rappel à l’Ordre Impérial de mon Surmoi ça s’fait trop pas
Ecouter ma parole ainsi posée en séance m’a permis de comprendre la chose suivante: malgré le travail que j’ai engagé, malgré les aperçus de mes mécanismes de censure, et bien cette dernière reste bien à l’œuvre. Elle arrive à cacher sous des traits me paraissant nouveaux, cette structure bicéphale Œdipe/castration que j’ai pourtant mainte fois remarqué dans mon inconscient.
Une fois l’analyse m’amenant à découvrir mon désir pour un autre, faite, restait la partie du gros dossier.
Cette force interprétative a pu se mettre en mouvement dans un dialogue entre moi et moi passant par la voix de mon analyste: un autre que moi:
- Lui Et le gros dossier?
- Moi blanc, ppfff, bec de canard qui comprends pas
Enfin les mots sortent comme ils viennent, parsemés de Q accrocheurs de langue et de larmes. Petit à petit je remonte à ma dernière utilisation d’un tel objet: la séparation d’avec mon ex. C’est là que j’ai consciencieusement rangé, par maîtrise, mon administratif dans de telles pochettes garnies de sous pochettes de couleurs. Lors de ce rangement, je suis tombée sur la vieille demande en mariage de cet ex: au beau milieu d’une partie de Q, amoureusement enlacés, mon ex m’a présenté une lettre, constituée d’une dizaine de feuilles volantes, me racontant ce que je représentais à ses yeux et me demandant en mariage.
- Lui "Ah des feuilles?"
- Moi en sanglots identiques à une avant plongée en mer: " Les feuilles dans mon rêve c’est moi qui les laisse tomber retournement onirique de situation là où mon ex m’a laissé tombé en vie de veille. Je deviens auteur du laissé tombé, je ne subis pas, je ne subis plus."
Je laisse tomber, toutes larmes dehors l’idée de la maîtrise et c’est bien agréable.
Ma honte de désirer sexuellement un autre homme que le mien aurait vite pu me pousser à cacher ce rêve, ne pas en parler à un autre et ainsi passer à côté du gros dossier, encore un effet de censure. La censure a cédé sous la force de mon interprétation, et j’ai pu interpréter parce que le positionnement de mon analyste m'a soutenu à le faire:
- une écoute sans jugement
- une écoute étroitement lié à l’attention/ l’affect qu’il éprouvait pour le Sujet que je suis
- la garantie d’un non passage à l’acte dont il avait la responsabilité
Christine Jeudy | Psychanalyste | Besançon