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Les haltes soins addictions : RAPPORT IGA N°24038 – IGAS N°2024-036R

Un dispositif expérimenté depuis 2016 pour réduire les risques et nuisances associés à la consommation de stupéfiants dans l’espace public OCTOBRE 2024

SYNTHÈSE

Plus de 150 espaces de consommation supervisée de drogues ont essaimé dans le monde, dont plus d’une centaine en Europe, en réponse à la propagation de l’épidémie de VIH-Sida dans les années 1980, puis pour réduire les risques sanitaires et les nuisances liés à la consommation de drogues dans l’espace public, notamment injectées.

En France, les « salles de consommation à moindre risque » (SCMR) ont été autorisées par expérimentation législative en 2016, prolongée en 2022 jusqu’à fin 2025 en « haltes soins addictions » (HSA). Elles s’insèrent dans la politique de réduction des risques et des dommages structurée depuis les années 1990 ; leur spécificité est de pouvoir y consommer des produits illicites sous la supervision de professionnels, afin de réduire les risques sanitaires : contamination par le VIH et VHC, risques somatiques (dont endocardites) et surdoses parfois mortelles. Les personnes qui consomment dans la rue et/ou qui présentent des comorbidités psychiatriques sont particulièrement exposées à ces risques qui, ajoutés aux nuisances liées à la consommation de drogues dans l’espace public, ont conduit le législateur à prévoir une exception à l’interdiction générale de consommer des stupéfiants. Une immunité pénale, strictement limitée à une quantité de produit et à un périmètre autour de la salle, est prévue pour les seuls usagers et professionnels de la HSA ; la vente de drogues reste interdite.

Depuis 2016, seules deux HSA ont été ouvertes, à Paris et à Strasbourg ; elles accueillent 1 600 personnes, soit moins de 1 % des 342 000 usagers problématiques de drogues estimés en France en 2023. Ces deux HSA présentent des caractéristiques différentes. Malgré une file active assez similaire en 2023 (autour de 800 usagers dans chaque salle), il y a huit fois plus de consommations à Paris (194 par jour vs 25 à Strasbourg), les usagers inscrits à Strasbourg fréquentant globalement moins souvent la salle. La salle de Strasbourg se situe dans l’enceinte des hôpitaux universitaires et propose par ailleurs 20 places d’hébergement depuis 2021 (expérimentation au titre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018), alors que la salle de Paris est installée à l’extérieur de l’hôpital Lariboisière, dans le dense bâti urbain du quartier de la gare du Nord ; elle est ouverte uniquement aux injecteurs depuis 2020, contrairement à celle de Strasbourg qui accueille aussi les inhalateurs.

Les HSA accompagnent un public en forte désaffiliation sociale, majoritairement sans domicile fixe. Quoique sur-fragilisées, les femmes y sont sous-représentées ; le dispositif d’hébergement de Strasbourg permet de mettre à l’abri deux fois plus de femmes que les HSA seules. Le sans-abrisme est majoritaire (à Paris, 79 % des usagers de la HSA n’ont pas d’hébergement stable et plus de la moitié sont à la rue ou en squat), il alimente la consommation dans l’espace public et entretient le cycle de l’addiction, les stupéfiants permettant d’apaiser les conséquences les plus immédiates de la vie à la rue (troubles anxieux, insécurité, froid ou faim). L’hébergement, indispensable à la sortie de l’addiction, se heurte à la saturation des dispositifs.

Les inhalateurs de cocaïne basée (crack) présentent une fragilité encore plus grande. L’addiction est particulièrement forte et génère une consommation frénétique qui accélère la désocialisation. La disponibilité de la cocaïne progresse continuellement (5 fois plus de quantités saisies en 30 ans). À Paris, cette pression particulièrement forte ne peut être jugulée par la HSA : la salle de Paris n’accepte plus les inhalateurs et l’addiction au crack nécessite une mise à l’abri dont la salle ne dispose pas. Le « plan crack » s’y emploie mais est limité par le manque de places d’hébergement accompagné en aval.

Les études internationales, et plus récemment l’étude française publiée par l’Inserm en 2021, attestent de la plus-value sanitaire des HSA pour l’usager : la consommation supervisée, en limitant les pratiques d’injection dangereuses et le partage de matériel, réduit les risques infectieux, les surdoses et les affections somatiques. En termes de bénéfices collectifs, la fréquentation d’une salle de consommation réduit les risques de passage aux urgences et les coûts associés ; par ailleurs, les HSA assurent le rôle de vigies des habitudes de consommation et des nouvelles tendances (comme la montée en puissance du fentanyl observée grâce à la HSA de Strasbourg) : ainsi, la mission recommande d’intégrer pleinement les HSA dans les dispositifs de veille sanitaire pilotés par l’OFDT (recommandations 1 et 2). Les salles améliorent la tranquillité publique en diminuant les consommations de rue. Depuis 2016, près de 550 000 injections ont été abritées dans les salles de Paris et Strasbourg ; les seringues ramassées autour de la salle sont passées de 150 à moins de 10 par jour à Paris. Pour autant, des consommations dans l’espace public demeurent, les salles n’étant pas ouvertes 24 heures sur 24, certains consommateurs étant exclus pour non-respect des règles et d’autres n’y venant pas ; il n’existe qu’une seule HSA à Paris, quand il y a sept salles à Berlin ou quatre à Hambourg.

Les salles n’engendrent pas de délinquance, voire sont susceptibles de faire baisser le nombre de délits commis par leurs usagers. La salle de Strasbourg n’a eu aucun effet d’attractivité sur les consommateurs et n’a généré aucune activité de « deal » ; dépourvue de riverains, elle ne pose pas de problème de tranquillité. À Paris, de nombreux riverains estiment que la HSA améliore le quartier et réclament son maintien ; la salle agrège toutefois des mécontentements, les nuisances du secteur gare du Nord – Lariboisière – Barbès restant supérieures à d’autres quartiers de Paris, indépendamment de la HSA.

Après avoir entendu les acteurs concernés, dont les services de police et les parquets, la mission recommande de mener à son terme l’expérimentation en cours à Paris et Strasbourg (recommandation 3). La fermeture de ces deux HSA dégraderait la tranquillité publique, mettrait en danger des usagers aux conditions de vie très précaires et mobiliserait inutilement des forces de police pour gérer les consommations rendues à l’espace public ; elle interviendrait à contretemps, dans un contexte de disponibilité accrue des stupéfiants, alors que les professionnels de l’addictologie alertent sur « la vague qui monte » et sur des besoins de prise en charge exponentiels dans les années à venir.

Pour l’avenir, à l’issue de l’expérimentation fin 2025 et sans préjudice des conclusions de l’évaluation scientifique attendue pour le 1er semestre 2025, la mission recommande d’inscrire dans le droit commun les HSA (recommandation 4) afin de prévoir, en droit, la possibilité d’ouvrir de nouveaux espaces de consommation supervisée, dont l’opportunité devra être appréciée sur la base des plusieurs conditions de réussite identifiées par la mission, tenant à la fois à la qualité du diagnostic préalable et aux modalités du projet. Cette perspective permettrait par ailleurs de pérenniser les HSA de Paris et Strasbourg qui, à défaut de disposition législative au-delà du 31/12/2025, ne pourraient continuer à fonctionner.

Par ailleurs, il convient de rappeler que le législateur a d’ores et déjà prévu la possibilité d’une consommation supervisée dans d’autres types de lieux que les HSA autonomes :

  • Le cahier des charges de l’expérimentation permet désormais l’ouverture d’un espace de consommation supervisée au sein d’un dispositif existant (Caarud ou Csapa) ; ce format « hébergé » peut faciliter l’acceptation du projet ; il nécessite un dispositif d’aller-vers efficace pour toucher les personnes qui ne fréquentent pas déjà le lieu et une adaptation des locaux qui peut être conséquente.
  • Les unités mobiles, prévues par le législateur en 2022, visent des publics très désaffiliés, mais leur capacité d’accueil est limitée ; elles peuvent compléter une structure fixe, mais difficilement la remplacer. Le format Algeco ou container constitue une modalité intermédiaire, pouvant être démontée ou déplacée, ce qui facilite l’acceptabilité ; ce format requiert une vigilance particulière aux conditions d’isolation thermique.

À Paris, où l’inhalation de crack n’est pas pratiquée dans la HSA, les lieux de repos pour usagers de crack pourraient constituer des espaces adaptés de consommation supervisée. Toutefois, il conviendrait préalablement d’établir scientifiquement le bénéfice de cette supervision (recommandation 5). Un tel projet viserait à limiter les nuisances aux abords et accompagner les intéressés dans une plus grande maîtrise de leur consommation, en plus de l’accompagnement social et sanitaire réalisé pour ce public parmi les plus vulnérables : il nécessiterait de répartir l’effort sur plusieurs structures pour ne pas concentrer les difficultés sur un lieu unique, ainsi qu’une adaptation des locaux.

L’initiative du projet revient actuellement aux municipalités et associations volontaires, ce qui ne permet ni de répondre à tous les besoins potentiels, ni de dépasser les oppositions locales. Les Agences régionales de santé (ARS) doivent assumer pleinement leur rôle de pilote de la réponse sanitaire ; la mission recommande de mobiliser les ressources de la Mildeca et de l’OFDT pour cartographier les consommations problématiques de drogues dans l’espace public, les ARS faisant réaliser sur cette base un diagnostic local, objectivant les enjeux, nuisances, délinquance et troubles à l’ordre public, sans préjuger du point de sortie (recommandation 6).

À l’issue du diagnostic (recommandation 7), un projet doit réunir plusieurs conditions de réussite :

  • La capacité d’accueil doit correspondre aux besoins du territoire et pouvoir s’adapter aux évolutions des consommations. Le projet doit privilégier plusieurs petits espaces plutôt qu’un seul grand, des horaires d’ouverture couvrant les habitudes des consommateurs et un personnel en nombre, en spécialités et en formation adaptés.
  • L’implantation doit prendre en compte des enjeux de proximité et d’accessibilité. Le lieu retenu doit idéalement se situer au plus près des lieux de consommation et des nuisances ; à défaut, des moyens adéquats sont nécessaires pour faire venir les consommateurs sur le site, qui doit être accessible en transports publics.
  • La proximité géographique avec un hôpital est importante en ce qu’elle renforce la dimension d’accès aux soins à laquelle le législateur a manifesté son attachement en prolongeant l’expérimentation ; elle constitue un optimum, mais pas un prérequis, la qualité du lien fonctionnel étant plus déterminante.
  • Un espace de consommation supervisée doit s’insérer dans un chaînage médico-social et un continuum allant de la prévention aux soins. L’ARS doit assurer la montée en capacité des dispositifs d’addictologie locaux, sans lesquels il ne peut y avoir de prise en charge aboutie. Le soin doit fonctionner avec l’accès à l’hébergement : la sortie de la rue est un préalable pour engager une démarche de soins et de traitement des addictions.
  • Les riverains doivent être informés des bénéfices attendus sur la vie du quartier, dès que le choix d’implantation est stabilisé, et avant que la décision soit avalisée ; les bénéfices ne doivent pas être exagérés pour ne pas générer de déception. Le dialogue doit se poursuivre, dans le cadre d’un comité local dynamique et régulier.

Enfin, la politique publique de réduction des risques, dont les HSA sont parties intégrantes, doit bénéficier d’un portage assumé et univoque à tous les niveaux.

RECOMMANDATIONS DE LA MISSION

RecommandationsPrioritéAutorité responsableÉchéance
1Autoriser l’analyse des produits consommés en haltes soins addictions pour en connaître la composition ainsi que la concentration et la pureté en principes actifs.1DGS31/12/2024
2Intégrer pleinement les haltes soins addictions dans les dispositifs de veille sanitaire TREND et SINTES de connaissance des produits stupéfiants et de leurs modes de consommation.1DGS, Mildeca31/12/2024
3Poursuivre et mener à son terme l’expérimentation législative des haltes soins addictions.1DGS31/12/2025
4À l’issue de la période d’expérimentation, inscrire dans le droit commun la possibilité d’ouvrir des haltes soins addictions et pérenniser dans ce cadre les HSA expérimentatrices.1DGS31/12/2025
5Diligenter une évaluation scientifique permettant de documenter les bénéfices de la supervision, s’agissant de l’inhalation de crack.1Mildeca31/12/2024
6Confier à la Mildeca la mission d’identifier périodiquement les problématiques de consommation de stupéfiants dans l’espace public susceptibles de répondre au cahier des charges des haltes soins addictions pour les signaler, via la direction générale de la santé, aux agences régionales de santé concernées.1DGS31/12/2024
7Faire piloter par chaque ARS concernée un diagnostic local, dès lors qu’elle a connaissance d’une problématique avérée de la consommation de stupéfiants dans l’espace public.1DGSAu fil de l’eau

Pour lire l’intégralité du rapport, cliquez sur ce lien : Rapport complet


Sacrifice
Entre enjeu du corps et survie psychique du Sujet