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“Ce qui me sidère dans la mort c’est l’oubli”

Cette phrase je l’emprunte à Sylvie Tronc Faure

Devant chez moi il y a le square Bouchot, dans le square : une statue d’un mec: Monsieur Bouchot. Au delà de la moule qu’il ne représente pas, ben je vois sa tête mais je ne sais même pas qui s’est. Je passe et je regarde même plus son buste de pierre, crépis de mousse verte. J’ai déjà cherché plusieurs fois sur le net qui il est, mais je n’imprime pas. J’imprime pas parce que je ressens rien pour ce gars. Pour mon père c’est tout autre chose, je pense à lui quand je mange sur la table qu’il m’a fait, je parle de lui, j’ai de la nostalgie, des bons souvenirs et des moins bons. Il est très présent dans mes représentations parce que je l’aime, parce que je lui porte de l’intérêt.

Le point commun entre Bouchot et mon père ? Ils sont mort tous les deux. Et pourtant l’un d’eux passe dans mon oubli : Bouchot et l’autre est présent dans ma vie: mon père. Ce qui fait se détacher une représentation de mon père de la masse perspective de mon cerveau, c’est mes sentiments pour lui. Alors le sentiment (qui est aussi le symbolique, ça dépend de quel endroit je regarde la découpe) vient découper, casser, briser ma masse perspective pour en faire une image: la découpe détruit la masse perspective (pulsion de mort comme disait Freud) pour faire naître une image. Mais ma représentation reste ma représentation, ça ne sera jamais l’objet/la chose/le Sujet que je représente en tant que tel.

Lors du décès de mon père, j’ai gardé son Opinel, son blouson en cuire et surtout une veste en tissu qui sentait bon son odeur. Sans plus de précaution je l’ai mise dans ma penderie et de temps à autre j’allais y plonger mon nez. Puis un jour, mon analyse passant j’ai pris conscience d’une chose: je gardais cette veste odorante comme une relique, comme si mon père était encore là. Une espèce de truc pour conjurer la séparation d’avec lui (ça c’est lui qui me l’a dit: le plus dur c’est la séparation, c’est pas la mort. Je plussoie des deux mains cette phrase qu’il a eu) Garder la veste odorante, c’était prendre les mots pour des choses, croire que le pour de faux est le pour de vrai, imaginer le garder pour de vrai chez moi dans ma penderie. Le mot était la chose, la relique odorante le rendait présent.

Alors sortie de cette prise de conscience (merci le travail autour du chevalier vert) j’ai pris la décision de laver la veste. Je dois vous dire que les deux mois dans ma penderie avait déjà amorcés le travail. Mais prendre l’initiative/maîtrise de l’enlevage d’odeur m’étais important, là où la sensation de m’être fait piquer un truc sans mon consentement, j’y ai substitué un "c’est moi qui décide d’enlever l’odeur ". autrement dit je produis du Sujet Christine. Oui parce que la veste en elle même je la trouve jolie, je peux aussi la garder comme un cadeau.
En lavant la veste, j’ai créé un espace, un trou entre le mot et la chose. J’ai fais une seconde découpe, cette fois ci à l’intérieur de ce qui avait déjà été découpé dans ma masse perceptive. C’est ce trou qui me permet de différentier le mot de la chose, et l’image que j’ai dans la tête de l’objet en tant que tel.
Ce trou c’est encore mes sentiments qui ont actionnés la découpe : Amour pour mon père, autrement dit mon désir pour lui.

Aujourd’hui je pense que ce qui m’a ému, attristé, fait peur, angoissée dans les trois semaines précédents sa mort, ben c’est l’idée de coupure/ de séparation/de castration… Ce qui est un corollaire de la création d’une représentation. Oui je ne suis pas à un paradoxe près 😅 La mort est symbolisable. C’est justement parce que je parviens à faire de l’image que j’ai l’idée de découpe qui vient.
Et l’angoisse c’est quand je ne fais pas de trou entre l’idée de castration et la réalité de la mort de mon père. Je ne l’ai pas réellement perdu au sens de perdre un membre , ou un zizi: non il est mort c’est tout. Quoiqu’il en soit je garde mes sentiments, d’amour, de tristesse, de colère, de nostalgie vis à vis de lui (je suis heureuse de cette mémoire). Et aujourd’hui je ressens un apaisement étonnant face à l’idée de la mort.

Pis question mort, du point de vu du Sujet qui meurt, quelque part c’est le dernier point d’accoupure, là où la découpe se recoupe et en laisse tomber la dernière image de soi même : un accouchement final, le dernier d’une succession d’une infinité d’image de soi au cours d’une vie.
Et le trou dans la représentation du mort, ce trou qui symboliquement ne les fera pas tomber dans l’oubli: se sont ceux qui ont des sentiments à l’égard du Sujet mort qui vont le réaliser. Quand plus personne ne se souvient ça fait comme la statut du square Bouchot, la mousse s’installe et laisse place à une autre vie. Je vis dans ce square, j’y joue avec mes enfants…

Merci à Sylvie Tronc Faure pour l’invitation à l’échange, ce qui m’a permis de formuler le texte ci-dessus.

Christine Dornier | Psychanalyste | Besançon

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