Contexte
Dans le cadre de l’événement Le Temps du Commerce organisé par Grand Besançon Métropole en mai 2025, les commerçants étaient invités à contribuer à trois temps de réflexion distincts.
Ne pouvant être présente le jour dit pour la première séquence – « Réinventer le commerce de demain : quels besoins et quelles compétences ? » – j’ai tenu à participer en transmettant ce texte.
Ce que je livre ici est issu de ma pratique et de mes observations de terrain. Ce ne sont ni des vérités universelles ni des solutions toutes faites, mais des propositions concrètes à tester, à expérimenter en recherche-action.
Je me suis prêtée à l’exercice avec le désir de partager un regard ancré dans le réel, pour alimenter la réflexion collective et contribuer, à mon échelle, aux dynamiques de revitalisation du commerce local. Ce texte est donc issu de ce que j’ai remplis dans le formulaire de réponse.
Revitaliser Battant – centre-ville : comprendre les défis pour agir localement
Le quartier Battant – centre-ville traverse aujourd’hui une situation commerciale contrastée, marquée par plusieurs phénomènes que je me permets de soumettre comme hypothèses de réflexion.
- Le prix des cellules commerciales varie énormément, oscillant entre tarifs abordables et montants exorbitants, sans repère clair pour les nouveaux venus. Cette instabilité s’ajoute à une multiplicité de propriétaires privés sans coordination entre eux, freinant toute dynamique collective à l’échelle du quartier.
- Pour les commerces de proximité existants, la clientèle du quartier reste relativement limitée. Leur maintien semble pourtant reposer directement sur un soutien plus actif des habitants, qui reste à encourager.
- Certaines activités, comme les barbiers, sont victimes de préjugés infondés, alors qu’elles contribuent à l’animation du quartier en attirant une clientèle fidèle de la périphérie.
- Un phénomène préoccupant est celui du cycle installation–liquidation : de nombreux commerçants investissent lourdement pour s’installer, mais ferment dans les 3 à 12 mois. Parmi les raisons possibles, je relève un défaut de pilotage comptable, qui fragilise énormément leur activité.
- Beaucoup reçoivent leur bilan comptable entre 3 et 6 mois après la clôture de leur exercice – quand ils l’obtiennent. Ce décalage signifie qu’ils avancent une grande partie de l’année suivante sans réelle visibilité sur leur situation financière. Pourtant, dans une gestion saine, il est essentiel de connaître dès novembre les résultats de l’année pour ajuster ses décisions.
À cela s’ajoute le coût : entre 150 et 600 euros par mois pour des commerçants réalisant en moyenne 60 000 euros de chiffre d’affaires. Ce budget reste lourd pour beaucoup, d’autant plus qu’il donne souvent accès uniquement à des documents fiscaux basiques, sans véritable conseil de gestion.
Dans ces conditions, continuer à investir, recruter ou même simplement tenir son commerce relève presque de la navigation à vue. - Cette situation est aggravée par une méconnaissance fréquente du rôle de la mairie, à qui l’on reproche parfois l’inaction concernant des cellules commerciales… qui ne sont pas sous sa responsabilité.
- La dynamique de consommation elle-même a profondément changé. Ce qui se vendait il y a vingt ans ne trouve plus forcément preneur aujourd’hui. On observe un déplacement des habitudes d’achat : les consommateurs recherchent désormais des produits plus spécifiques, souvent avec une attention accrue portée à la durabilité, à l’origine ou à l’utilité réelle.
Le développement de la seconde main, la montée des préoccupations écologiques et la remise en cause de l’achat neuf dans plusieurs secteurs modifient en profondeur la dynamique commerciale traditionnelle. - L’accessibilité économique devient aussi un enjeu majeur. Beaucoup de commerces du centre-ville affichent des gammes de prix devenues inaccessibles à une partie importante de la population. Ce phénomène s’explique en partie par les coûts fixes (loyers élevés, charges), mais on observe aussi un écart croissant entre le positionnement commercial et la réalité du pouvoir d’achat local, dans un contexte où la seconde main devient une alternative forte.
- Enfin, je propose d’interroger la responsabilité du consommateur. Il est illusoire de penser que quelques commerçants pourraient seuls répondre aux besoins du quartier. Trop souvent, on réclame “plus de commerces” sans fréquenter ceux qui existent.
Quand un petit magasin de bricolage est ouvert en ville, combien d’habitants font l’effort de s’y rendre avant de filer en zone commerciale ?
Soutenir son quartier commence par des actes simples : acheter local même si tout n’est pas disponible, accepter parfois des limites, préférer un déplacement en tram à une critique facile.
Être consommateur, ce n’est pas seulement réclamer : c’est choisir, soutenir et participer à la vitalité de son territoire.
Relancer l’activité commerciale du quartier Battant : je propose la création d’une SCIC de proximité
À partir des constats que j’ai faits sur le quartier Battant – forte vacance commerciale, éclatement des propriétaires, difficulté des commerces à durer, évolution rapide des habitudes d’achat – je propose une réponse collective et concrète :
créer une SCIC de proximité, une Société Coopérative d’Intérêt Collectif à l’échelle du quartier.
Pourquoi je propose une SCIC de quartier ?
Le modèle économique classique (ouvrir un commerce seul et espérer que ça marche) ne suffit plus aujourd’hui.
À mon sens, il faut imaginer autrement : partager les moyens, mutualiser les efforts, se serrer les coudes.
La SCIC de quartier, telle que je la conçois, serait un outil pour :
- soutenir les commerces qui s’installent,
- aider ceux qui existent déjà à mieux tenir sur la durée,
- créer des services utiles aux habitants,
- tisser du lien direct entre commerçants, habitants, propriétaires et soutiens.
Et surtout, une collectivité territoriale comme la Ville de Besançon ou même le Département du Doubs pourra aussi entrer dans la SCIC en tant qu’associée, aux côtés des commerçants et des habitants.
Comment je vois l’organisation ?
Je propose de rassembler la SCIC autour de 4 collèges d’associés :
- Activités intégrées : les commerces et services directement gérés par la SCIC (40 % des voix),
- Activités partenaires : les structures autonomes qui veulent coopérer (20 %),
- Habitants, propriétaires et collectivités : celles et ceux qui vivent et investissent ici, ainsi que la Ville ou le Département (20 %),
- Sympathisants : soutiens extérieurs, particuliers ou structures engagées (20 %).
Chacun garderait son autonomie, mais tout le monde participerait aux décisions stratégiques et au développement du quartier.
Ce que je veux mettre en place avec la SCIC :
- Accompagner l’installation de commerces utiles et adaptés : artisans, alimentation de qualité, services de proximité,
- Soutenir les commerçants en place : outils mutualisés, aide au pilotage d’activité, formations courtes, appui stratégique,
- Créer du lien : mettre commerçants, habitants, propriétaires et collectivités autour de la table,
- Animer le quartier : événements réguliers, communication collective, campagnes pour attirer et fidéliser les clients locaux,
- Développer la seconde main, l’auto-réparation, les achats responsables,
- Travailler avec les écoles pour ancrer l’activité au cœur du quartier,
- Valoriser le patrimoine local, car l’image d’un quartier compte aussi.
Mon approche : construire, pas attendre
Je suis consciente du risque décrit par Alberto Magnaghi dans ses travaux sur les territoires du commun : le risque que la participation des habitants se limite à adresser des doléances aux institutions, en attendant une réponse extérieure, sans véritable prise en main locale.
Ce n’est pas ce que je propose ici.
Ma démarche repose sur l’action directe : je ne crois pas qu’il faille attendre qu’“on” règle les problèmes pour nous. Je veux construire avec celles et ceux qui sont prêts à s’impliquer directement. Pour que cette dynamique fonctionne vraiment, je pense qu’il faut que chacun soit reconnu comme un acteur à part entière. Ce n’est pas juste additionner des personnes ou des idées : c’est la qualité des relations entre nous qui fera la réussite du projet. Chaque commerçant, chaque habitant, chaque partenaire qui rejoint la SCIC aura sa place, sa voix, son rôle. Sans cette reconnaissance mutuelle, on ne fait que de l’affichage.
Ce que je veux, c’est du concret :
- Des commerces qui tiennent la route,
- Des projets qui créent de la vie au quotidien,
- Une économie locale forte, fière, indépendante,
- Un quartier vivant, commerçant, humain.
Mon ambition
Je veux contribuer à faire de Battant – centre-ville un vrai quartier commerçant, dynamique, où il fait bon vivre, travailler, acheter, flâner.
Pas un quartier vitrine, pas un désert de cellules vides.
Je vois la SCIC comme :
- une entreprise collective locale,
- un réseau solide d’entraide entre acteurs du quartier,
- un accélérateur de projets utiles, réalistes et adaptés à notre réalité.
Il est temps d’agir. Ensemble.
Et j’espère que d’autres commerçants, habitants, partenaires et collectivités partageront cette envie avec moi.
Christine Jeudy | Psychanalyste | Besançon