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"Redonner sens aux doléances : un chemin citoyen entre mémoire et action locale"

Quand la citoyenneté se réinvente : entre engagement et pouvoir d’agir

Faire vivre les doléances au cœur des territoires : un projet citoyen et collectif

Il y a cinq ans, pendant la crise des Gilets Jaunes, Emmanuel Macron lançait l’ouverture du Grand Débat National, incitant les maires à recueillir les doléances des citoyens dans des cahiers ouverts dans chaque mairie. Cet exercice de démocratie directe, inspiré d’1789, a rencontré un succès inattendu : 19 899 cahiers, plus de 200 000 contributions manuscrites. Un trésor national, mais aussi une promesse non tenue, car ces textes n’ont jamais été publiés par les gouvernements successifs.

C’est cette histoire éminemment politique et citoyenne que le documentaire "Les Doléances" d’Hélène Desplanques a choisi d’explorer. En juin 2024, touchée par ce projet, j’ai contacté Production 13 pour acquérir trois projections du film. Nous avons organisé une première projectionau tiers-lieu Le 97, suivie d’un moment d’échanges chaleureux. Une quarantaine de personnes sont venues discuter de ce que ces doléances éveillaient en elles, partageant leur quotidien et leur envie de découvrir ces écrits citoyens. Par ailleurs, une seconde projection a eu lieu à la Maison pour l’Image et la Photographie, permettant d’atteindre un public encore plus large. 

Les apéros politiques au service de la démocratie locale

Dans une volonté de revitaliser la démocratie locale, et dans l'idée de faire vivre le premier kilomètre de démocratie, le projet "Apéro Politique du 97" a émergé à la suite des projections et des échanges sur les doléances. Il s’est fixé pour objectif de rassembler les citoyens du quartier Battant autour d’un cycle de huit rencontres mensuelles. L’un des piliers de ce projet est d’accompagner les participants à partir de leur propre quotidien pour établir des constats partagés. Il ne s’agit pas de parler de l’expérience d’un autre ou de ce que l’on a entendu, mais bien de se concentrer sur sa propre réalité, ses vécus et ses ressentis. Chaque participant est invité à partager son expérience personnelle, créant ainsi une base solide pour des échanges sincères et constructifs. Chaque session, limitée à 20 participants pour garantir des échanges de qualité, vise à faire émerger des solutions adaptées aux spécificités locales tout en partant des vécus individuels des participants.

Ces rencontres sont structurées en deux étapes principales : établir des constats partagés ancrés dans le quotidien, et explorer les initiatives locales et nationales pertinentes. Une troisième étape, qui fera l’objet d’une neuvième rencontre à part entière, sera consacrée à l’imagination et à l’écriture de propositions pragmatiques pour améliorer le bien-vivre des citoyens. Les thématiques abordées, issues des contributions du Grand Débat National, vont de la démocratie et la citoyenneté à la transition écologique, en passant par le pouvoir d’achat et l’organisation des services publics.

La rencontre avec Vincent Lebrou et l’université

En août, j’ai contacté Vincent Lebrou, maître de conférences en science politique à l’Université de Franche-Comté. Après un échange téléphonique, suivi d’un repas au tiers-lieu, nous avons convenu d’une projection en octobre pour les étudiants en master 1 "Politiques publiques". Le film a suscité des échanges riches sur la démocratie et l’écriture citoyenne. En novembre, Vincent est revenu au 97 pour une soirée unique : un cours thématique dont le sujet a été choisi par les usagers, le tout dévoilé au dernier moment. Une expérience qui a renforcé notre lien avec le monde universitaire et ses perspectives critiques.

Pour conclure l’année, une dernière projection des Doléances a eu lieu en amphithéâtre à la faculté, en présence de Fabrice Dalongeville, maire d’Auger-Saint-Vincent, et acteur clé du film.

Réparer la fracture démocratique

En décembre, sur invitation de Fabrice Dalongeville et de Hélènes Desplanques, je me suis rendue à un colloque intitulé "Réparer la fracture démocratique : l’urgence de publier les Doléances du Grand Débat National", à l’Assemblée nationale. Une journée marquante, à l’intersection des mondes citoyen, élu et universitaire. J’y ai entendu des témoignages de collectifs citoyens, ainsi que des chercheurs alertant sur le manque de moyens alloués à la recherche publique sur ce corpus unique. Un cabinet d’avocats mandaté pour étudier le statut juridique des doléances a exposé les enjeux juridiques complexes autour de ces textes, à la fois archives administratives et documents publics.

Un consensus clair s’est dégagé : publier ces doléances en ligne, en libre accès et en open source, tout en respectant les droits juridiques et les besoins de recherche. Les discussions ont souligné la diversité des approches nécessaires : orthographe, mise en page, couleurs… autant d’éléments à considérer pour des usages allant des sciences du langage, au social, à la science politique, à l'histoire, ou encore à la géographie. Une tâche colossale, mais essentielle.

Une démarche locale et citoyenne

Lors du temps d’échanges final, j’ai pris la parole pour partager mon engagement. J’ai annoncé mon intention de contribuer localement à ce projet en explorant le statut des archives en Franche-Comté. J’ai indiqué que le tiers-lieu Le 97 deviendrait probablement une ressource où les citoyens pourront contribuer à la transcription des doléances, avec un soin particulier apporté à l’anonymisation des données et au respect de la légalité. J’ai également partagé mon envie d’organiser un événement festif, en collaboration avec des artistes, pour célébrer la portée humaine, sensible et artistique de ces textes.

De retour à Besançon, j’ai soumis l’idée à la vie coopérative du 97. J’ai demandé au 97 si cela empêchait quelqu’un de dormir si le tiers-lieu mettait à disposition, pour un projet lié aux doléances, son espace en tant que tel ainsi que ses infrastructures numérique. L'accueil de ce projet fut plutôt chaleureux. 

J’ai ensuite eu un contact téléphonique avec une chercheuse franc-comtoise qui s’intéresse aux doléances. Ce bel échange, où nous avons présenté nos missions et attentes respectives, a abouti à une prise de rendez-vous pour le 6 janvier au Tiers-lieu. Ce rendez-vous aura une visée plus opérationnelle : esquisser les modalités de transcription des doléances, tout en concevant une base de données à la fois adaptée aux besoins des chercheurs et accessible à toutes et tous. Cette démarche devra respecter scrupuleusement la légalité ainsi que les contraintes de fonctionnement des administrations, telles que celles des archives départementales. Ainsi, un travail s’amorce avec des universitaires et citoyens pour définir les modalités pratiques d’une collaboration.

Faire vivre la parole citoyenne

Ce projet ne vise pas à remplacer les travaux institutionnels, mais plutôt à les enrichir par une approche citoyenne qui questionne la responsabilité de chacun dans le « faire ensemble », dans le « faire société ». Il me semble que, sur le plan scientifique, cette démarche représente une innovation majeure : elle valorise le savoir des habitants, en écho au diagnostic « par le bas » mené par Alexandre Moine, chercheur à Besançon. En janvier, je vous partagerai les avancées de cette initiative locale et collaborative.

Le travail citoyen se concentre avant tout sur la collecte des données. Il appartient à chacun de prendre ses responsabilités pour y puiser les éléments d’une recherche personnelle, ou non. Il ne s’agit pas de contraindre les institutions : la donnée existe, elle est disponible. Libre à chacun de s’en emparer.

Cependant, il serait illusoire de croire que ces cahiers contiennent à eux seuls les solutions à toutes les souffrances. Une telle croyance relèverait du dogmatisme, au même titre que l’idée qu’un diplôme ou un statut élu confère systématiquement le pouvoir d’agir sur la citoyenneté. Pour suivre les histoires des doléances, vous pouvez vous rendre sur ce site : https://lesdoleances.fr/, qui regroupe l'ensemble des travaux passés et à venir portés par l'association.


Lettre ouverte à mon élu-e
et si nous travaillons ensemble?