Je travaille sur des terrains différents, diagnostics par le bas, Apéros Politiques du 97, séminaire de psychanalyse libre et open source, accompagnements individuels, mais je m’appuie toujours sur la même méthode. Elle part du sensible, s’appuie sur la parole, et construit du commun à partir du vécu réel des personnes.
1. Je pars d’un trouble, pas d’une théorie
J’ouvre un projet quand quelque chose se met en mouvement, crée une tension, réveille une question ou une inquiétude.
Cela peut venir :
- d'une violence muette dans un quartier,
- des citoyens peu assurés dans leur légitimité à prendre la parole,
- d'un besoin de se reparler autrement,
- des croyances qui traversent un groupe,
- d'un rêve, d'un affect, d'une émotion intime en entretien individuel.
À chaque fois, un trouble réel, individuel ou collectif, lance le travail et crée l’élan pour avancer.
2. Je crée un espace, pas un dispositif
Que ce soit dans un diagnostic, un apéro politique, un séminaire ou un entretien, je cherche avant tout à créer un espace où la parole peut tenir.
Ce cadre est simple, mais il change tout :
- pas de hiérarchie dans la prise de parole,
- pas de prérequis pour participer,
- confidentialité, non-jugement, bienveillance,
- droit de se taire, droit d’hésiter, droit de ne pas savoir,
- polyphonie assumée : les voix peuvent être différentes, voire contradictoires.
Ce n’est pas un protocole. C’est un geste relationnel : créer un lieu où chacun peut parler depuis là où il est.
3. Je remets la personne au centre, pas la catégorie
Dans mes projets, je n’écoute pas des “usagers”, des “professionnels”, des “jeunes”, des “pairs-aidants”, des “chercheurs”, des “habitants”.
J’écoute des personnes. Chaque personne parle depuis :
- son histoire,
- son vécu,
- son rapport au territoire ou à l’institution,
- ses croyances,
- ses peurs,
- ses désirs,
- ses contradictions.
Que je travaille en collectif ou en individuel, je refuse de réduire quelqu’un à son rôle. C’est ce qui permet la circulation de paroles vraies.
4. Mon premier outil : l’écoute
Mon outil principal est l’écoute — profonde, patiente, attentive aux mots et aux silences.
Je fais attention :
- à ce qui se dit,
- à ce qui ne se dit pas,
- à ce qui se déplace quand quelqu’un parle,
- aux affects,
- aux signaux faibles,
- aux changements minuscules qui marquent une transformation.
J’accorde à la parole un statut important : parler transforme — un individu, un groupe, un territoire.
5. Je laisse émerger avant de structurer
Ma manière de faire :
- Je recueille ce qui vient.
- Je laisse émerger les lignes de force.
- Je nomme après coup, une fois que j’ai entendu.
Dans un diagnostic par le bas, ce sont les habitants qui font émerger les sujets.
Dans les Apéros Politiques, chaque thématique ouvre un espace où les personnes parlent d’elles et de ce que le sujet du jour réveille dans leur histoire. L’important vient de ces résonances intimes, de ces parcours qui se dévoilent et de la manière dont chacun se laisse traverser par la question proposée. Dans le séminaire, les axes de travail naissent de la parole et du vécu.
En individuel, ce sont les associations, les rêves, les affects qui tracent le chemin. Je ne force rien. Je fais confiance à ce qui se cherche.
6. Je contribue à fabriquer du commun à partir du singulier
Je ne cherche pas le consensus. Je cherche un commun vivant, qui accepte les différences et les contradictions. Ce commun se forme :
- quand des expériences résonnent entre elles,
- quand une parole en ouvre une autre,
- quand des trajectoires différentes éclairent un même point,
- quand les divergences deviennent une matière de travail.
Pour moi, faire commun, c’est permettre à des subjectivités distinctes de cheminer ensemble sans se nier.
7. Je produis des traces fidèles et utilisables
Dans chacun de mes projets, je produis une trace :
- verbatim structuré,
- fil rouge,
- synthèse lisible.
Je ne reformate pas la parole pour la lisser. Je la rends accessibles, sans la trahir. Ces traces servent à :
- garder mémoire,
- soutenir la réflexion,
- appuyer des décisions politiques ou institutionnelles,
- outiller les personnes concernées,
- préparer la suite du travail.
En entretien individuel, la trace n’est pas écrite mais elle existe sous forme de mise en sens après coup, quand quelque chose s’organise et devient dicible.
8. J’articule le psychique, le social et le politique
J’avance toujours avec l’idée que :
- quelque chose parle du sujet,
- quelque chose parle du territoire,
- quelque chose parle du social,
- quelque chose parle du politique.
Dans les diagnostics : les habitants décrivent leur quotidien et leurs conditions de vie. Dans les Apéros : la politique prend sens à partir du vécu. Dans le séminaire : le psychique se déploie toujours en lien avec le social, la famille, le travail, les institutions.
En individuel : le symptôme, le rêve, la croyance se situent dans une histoire et un contexte.
Pour moi, parler de soi, c’est déjà une manière de faire de la politique.
9. Ma méthode : un geste plus qu’une technique
Je n’applique pas une technique. Je pratique un geste :
- être présente,
- tenir un cadre simple mais solide,
- me retirer juste assez pour laisser de la place,
- accompagner sans diriger,
- faire confiance à la parole et au processus,
- accueillir sans disqualifier.
Ce geste reste le même, quel que soit le contexte.
10. Et dans les entretiens individuels ?
J’accompagne aussi en individuel, dans une démarche de psychanalyse libre et située. Et là encore, je m’appuie sur la même méthode que dans mes actions collectives.
En individuel :
- Je pars d’un trouble, d’un rêve, d’un affect, d’une question intime.
- Je crée un espace sécurisant où la personne peut parler sans retenue.
- Je laisse émerger ce qui se cherche, sans grille préétablie.
- Je travaille à partir de la parole, des associations, des images, des déplacements intérieurs.
- Je mets la personne au centre, pas l’interprétation ni la théorie.
- J’articule ce qui se joue psychiquement avec ce qui se joue socialement et politiquement.
- Je produis une mise en sens après coup, fidèle à ce qui s’est dit et vécu.
Que je sois face à un individu ou à un groupe, ma méthode reste la même : créer les conditions d’une parole vraie et accompagner le mouvement qu’elle ouvre.
En résumé
Ma manière de travailler tient sur trois piliers :
- Créer les conditions d’une parole vraie
(sécurité, horizontalité, cadre clair). - Accueillir ce qui émerge sans forcer
(écoute, temps, sensibilité aux signaux faibles). - Transformer cette parole en commun partageable
(traces, synthèses, déplacements subjectifs et collectifs).
C’est ce fil qui relie l’ensemble de mon travail.
Christine Jeudy | Psychanalyste | Besançon