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Sur les réseaux, à table, entre amis, voisins ou en famille, la conversation démarre souvent sur des banalités : la pluie, le beau temps, la dernière recette testée par un·e tel·le. Mais très vite, dès qu’on aborde des sujets autrement plus sensibles — le vivre ensemble, ce que chacun peut faire pour la société, pour celles et ceux qui l’entourent — l’ambiance se tend.
Et souvent, ce n’est pas tant le sujet en soi qui tend l’atmosphère que la manière dont il est amené. Celui qui parle prend un ton affirmatif, péremptoire : « Il faut… », « C’est comme ça… », comme s’il détenait une vérité. L’autre lui répond sur le même registre. Et voilà que s’installe une dynamique où, face à leurs propres doutes, les uns et les autres se réfugient derrière des autorités reconnues : un expert, un maître, une figure publique. C’est profondément humain : quand on doute de soi, on s’appuie sur celui qui semble savoir.
De là découle une question plus profonde : que faire de ce doute qui nous habite ? Faut-il vraiment le rejeter ?
Douter : non pas une faiblesse, mais un socle éthique
Aujourd’hui, j’accueille mes doutes comme constitutifs de mon éthique. Douter me protège : cela m’empêche de croire aveuglément en la parole de l’autre et m’évite aussi de croire que moi-même je détiens une vérité universelle. Douter, c’est accepter que l’on se trompe, que les choses se construisent toujours en mouvement.
La science elle-même est bâtie sur cette capacité de remise en question permanente. Elle doute, vérifie, expérimente, reformule, sans jamais prétendre à une vérité définitive. Prenons un exemple historique : la loi de Newton a expliqué et continue d’expliquer très efficacement le monde dans un cadre précis : celui de notre quotidien, des vitesses faibles et des masses modérées. Mais à d’autres échelles, comme celle des vitesses proches de la lumière ou des champs gravitationnels intenses, des anomalies apparaissent — par exemple dans le mouvement de Mercure. C’est en doutant, en repoussant les limites de ce cadre, qu’Einstein a formulé la théorie de la relativité générale, qui élargit notre compréhension. Important : la loi de Newton n’a pas été annulée, elle reste valide dans son champ d’application. La relativité générale n’a fait que préciser quels étaient ses contours, où elle s’applique et où il faut aller plus loin.
Ainsi, la science ne remplace pas une vérité par une autre, elle affine, elle cadre, elle précise.
Mais une question se glisse ici : si le doute est essentiel, qu’advient il quand il déborde, quand il ne laisse plus de place à la confiance nécessaire au “faire ensemble” ?
Le doute est précieux quand il ouvre l’espace de la réflexion partagée. Mais il peut aussi devenir envahissant, au point de nous empêcher d’avancer, de nous relier. Quand on doute de tout et de tout le monde, comment faire avec celui qui nous fait douter ?
Parfois, ce doute n’est pas seulement dirigé vers l’extérieur : il est porté par notre réalité intérieure, par ces zones en nous que nous ne maîtrisons pas toujours. Et quand cette réalité intérieure se colle trop étroitement au monde extérieur, elle peut devenir très handicapante.
On en arrive à croire que ce qui nous traverse intérieurement — nos angoisses, nos peurs, nos cauchemars — est aussi la réalité du monde extérieur. Et dans cet état, l’autre devient facilement une menace. On se fige, on n’ose plus bouger, on imagine que tout ce qui nous entoure nous veut du mal.
C’est terrible, car ce qui habite nos cauchemars est parfois d’une violence inouïe — en tout cas, c’est ce que j’ai trouvé dans mes rêves.
Et vous, comment sont vos rêves ? Que diriez-vous si, pour de vrai, vos cauchemars étaient la réalité ? Comment vivriez-vous si vous croyiez que vos peurs intérieures étaient des vérités universelles ?
Quand la réalité extérieure fait écho à nos angoisses intérieures
Et il y a plus : la réalité extérieure, dans ce qu’elle a de plus concret — la finitude des corps, la précarité des vies, les ressources limitées de la planète — vient parfois rejoindre nos inquiétudes les plus intimes. Alors, ce qui semblait n’être qu’une projection intérieure semble confirmé par des faits tangibles : nos angoisses trouvent des échos dans la réalité partagée, et la frontière entre ce qui nous traverse et ce qui nous entoure devient floue.
C’est ici que le lien se complique : comment entrer en relation quand ce que l’on perçoit du monde extérieur résonne si fort avec nos peurs intérieures ? Comment continuer à faire confiance quand la matière même du monde vient renforcer nos inquiétudes ?
Il y a là une limite subtile mais décisive entre l’angoisse, qui est une peur sans objet précis, souvent irreprésentable, et la peur face à un danger réel et concret. Mais cette limite devient poreuse quand on vit ensemble dans un monde où les fins, les fragilités, les menaces objectives (épuisement des ressources, catastrophes, mortalité) se présentent à nous chaque jour.
Dans ce brouillage, le risque est grand que l’autre soit perçu non plus comme partenaire mais comme menace, que la relation elle-même devienne un terrain d’inquiétude, et que le “faire ensemble” cède à la méfiance généralisée.
Et puis il y a un autre réflexe humain, peut-être encore plus radical : que fait-on lorsqu’on n’en peut plus de ce doute qui étouffe ?
Face à ce vertige, il y a parfois une nécessité vitale à continuer à fonctionner, à tenir debout malgré tout. Quand le doute devient trop envahissant, quand l’angoisse intérieure se mêle à des peurs bien réelles, concrètes, ancrées dans une réalité objective — la finitude, les catastrophes, les menaces —, alors l’être humain cherche une issue immédiate pour survivre psychiquement. Et l’une des stratégies consiste à tenter d’anéantir le doute lui-même : à faire “comme s’il n’y avait pas de doute”, à suspendre brutalement la pensée inquiète, à se raccrocher à une certitude extérieure. Ce geste est profondément humain : il ne s’agit pas d’abord d’un désir de domination ou d’aveuglement volontaire, mais d’une tentative de ne pas sombrer sous le poids conjugué de la peur et de l’angoisse, pour préserver une capacité minimale d’action.
Dans ce contexte, la parole d’un autre, perçue comme sûre, protectrice, à l’abri du drame imminent, devient un refuge. On remet entre les mains de cet autre — un guide, un chef, un dogme — le pouvoir de nommer ce qui est vrai et faux, bien et mal, sûr et menaçant. Cela donne un sentiment d’allègement provisoire : plus besoin de douter, de supporter la complexité, de contenir la tension entre les dangers du monde et les peurs intimes. Mais ce soulagement a un prix terrible : au moment où le doute est éradiqué, c’est aussi notre capacité propre de réflexion qui s’efface, notre esprit critique, notre aptitude à partager une pensée vivante avec d’autres. Là où le doute n’a plus droit de cité, le lien se fige, la parole s’éteint, l’intelligence collective se ferme.
L’élimination totale du doute comme solution à l’excès de doute aboutit ainsi à un autre type de catastrophe : non plus la désorientation, mais l’aliénation, non plus la peur partagée, mais la soumission.
Ce mécanisme individuel, cette manière de se défendre contre un doute trop envahissant, prend aujourd’hui une ampleur collective préoccupante.
Nous voyons bien comment cette tendance humaine à éliminer le doute pour pouvoir agir se manifeste aujourd’hui dans des mouvements collectifs : là où, autrefois, il fallait trouver ses propres réponses, émergent désormais des “vérités prêtes-à-penser”, à suivre sans discussion. Ce phénomène n’est pas marginal ; il traverse les sociétés contemporaines et se cristallise notamment autour d’un domaine pourtant bâti sur le doute lui-même : la science.
Car il faut le souligner : la science n’est pas un dogme, mais une méthode. Une méthode exigeante qui implique de poser des hypothèses, vérifier, expérimenter, confronter ses résultats, expliciter le cadre d’application, et accepter de recommencer indéfiniment. C’est en cela que la science reste fidèle à ce qui la constitue : un mouvement critique continu, qui inclut la possibilité d’erreur et la circonscrit à des domaines précis.
Or aujourd’hui, ce qui m’inquiète, c’est moins la science elle-même que l’usage qui en est fait : elle devient tour à tour instrument d’un discours dogmatique (« suivez la science ») ou objet de rejet complet (« on ne peut plus croire la science »). Dans les deux cas, c’est le même glissement qui opère : le doute légitime — celui qui ouvre l’enquête — se transforme en adhésion sans réserve ou en rejet total, sans nuance, sans vérification méthodologique proprement dite.
Ainsi, ce n’est pas la science qui mérite d’être remise en cause, mais la manière dont nous la convoquons dans nos débats : soit pour valider un propos sans esprit critique, soit pour disqualifier toute complexité au motif qu’elle ne nous arrange pas. Pourtant, la pratique scientifique elle-même prévoit les garde-fous contre cette dérive : elle impose non seulement de douter, mais aussi de cerner les limites d’une étude, d’indiquer le cadre précis dans lequel elle s’applique, et de maintenir une vérification continue, au laboratoire comme ailleurs.
Ce glissement — du doute éclairant vers l’adhésion aveugle — mérite donc d’être interrogé plus en profondeur : pourquoi renonçons-nous si facilement à ce qui, pourtant, fonde l’intelligence collective ? Pourquoi ce besoin impérieux de certitudes prêtes à consommer ?
Quand la pensée critique bascule vers le dogme
Ce phénomène est ancien. Des figures se sont toujours érigées en détenteurs d’une vérité à suivre : prêtres, chefs, experts, technocrates, consultants. Ce mouvement répond à une structure profonde : la difficulté à tolérer l’incertitude, à habiter nos propres divisions intérieures, à accueillir la peur fondamentale face à la finitude.
Le besoin d’un « autre qui sait » structure notre histoire psychique dès le commencement : dès la naissance, une voix nous précède, une parole nous nomme, nous guide, nous tient debout. Bébé, puis enfant, nous nous construisons dans cette asymétrie radicale : le parent, l’adulte, parle pour nous, de nous, à notre place. Cette parole fondatrice est indispensable. Sans elle, pas de croissance, pas de langage, pas de sujet. C’est précisément ce qui rend cette structure si puissante : adulte, nous restons porteurs de ce pli inaugural. Nous cherchons encore une parole qui rassure, un savoir qui oriente, une figure d’autorité pour contenir l’angoisse qui jamais ne disparaît tout à fait.
Structurellement, ces deux scènes — celle de l’enfant qui reçoit la parole de l’adulte, et celle de l’adulte qui se remet à croire dans une parole unique — sont identiques : toutes deux organisent un rapport dissymétrique à la parole comme fondement. Ce qui change radicalement, c’est la condition existentielle : pour l’enfant, cette dépendance est constitutive et indispensable ; pour l’adulte, elle peut devenir une manière de se protéger de l’épreuve de l’autonomie, de différer l’irréductible responsabilité d’exister par soi-même. Ce passage constitue une épreuve, un seuil : découvrir que la vie, notre propre vie, ne se réduit plus à ce qu’un autre a voulu ou pensé pour nous, et que nous en sommes seuls responsables. Ce moment est bouleversant, parfois terrifiant, car il engage le sens même de l’existence : vivre non plus simplement comme « enfant de », mais comme sujet à part entière.
Chercher des réponses simples et rassurantes prolonge indéfiniment cette structure infantile : c’est un retour au pli originel. Se réfugier dans une parole unique rétrécit l’espace où la rencontre véritable peut se déployer. Ce qui relie les êtres se trouve précisément dans la capacité à demeurer dans l’inconfort des questions ouvertes, à accueillir la diversité des voix, les contradictions, la pluralité, qui ouvrent la voie à une intelligence partagée. Le problème ne réside jamais dans la discipline scientifique ou dans l’institution. Tout dépend de la posture intérieure : cultiver la capacité critique exige de contextualiser, de reconnaître ses limites, de tolérer l’incertitude.
Aucune solution technique, aucune richesse, aucun patrimoine, aucun discours savant n’apporte un apaisement définitif. L’angoisse fondamentale traverse chaque être vivant, face à sa propre finitude et à celle de la planète vivante. L’essentiel concerne l’usage des savoirs, des disciplines, des institutions. Ces usages ouvrent ou ferment, incluent ou excluent, dialoguent ou dominent, partagent ou s’approprient.
Le cœur de la question se situe dans la dynamique engagée collectivement et individuellement. Ce qui compte : maintenir vivant ce qui relie. La parole partagée, le doute fécond, la reconnaissance des limites, l’écoute de l’autre, surtout lorsque sa pensée diffère.
Comment cela se traduit aujourd’hui : le cas de la loi Duplomb
Aujourd’hui, l’angoisse de la finitude et le désir de certitudes concrètes s’expriment à travers des dispositifs politiques précis. La récente loi Duplomb illustre parfaitement ce glissement : transformée en “loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur”, elle entend alléger les normes environnementales et administratives jugées trop pesantes.
Arguments des partisans
Les promoteurs de la loi affirment répondre à une situation d’urgence : « permettre aux agriculteurs de continuer à produire face aux menaces sanitaires, climatiques et économiques ». Ils insistent sur le fait que la réautorisation de l’acétamipride concernerait “seulement” 500 000 hectares, soit environ 1,5 % à 1,8 % des terres agricoles françaises, un volume présenté comme limité et indispensable à la survie de filières jugées stratégiques (betterave, noisette, kiwi). Cette mesure est défendue comme une garantie pour la souveraineté alimentaire nationale, une manière de « réaffirmer la capacité de la France à se nourrir elle-même » en réduisant les contraintes réglementaires sur l’agriculture.
Les partisans avancent aussi un argument rhétorique destiné à contrer les critiques : « Ne vous laissez pas intoxiquer par la désinformation », une formule visant à discréditer les opposants. Ils rappellent qu’après ce vote, la France restera le pays le plus restrictif d’Europe en matière de pesticides.
Le texte prévoit des dérogations strictement encadrées, limitées à certaines filières en situation d’impasse avérée et menacées dans leur existence. Ces dérogations : seront limitées à 120 jours, concerneront des usages précis, nécessiteront chaque année des travaux de recherche sur des alternatives, imposeront une interdiction temporaire de replanter des plantes mellifères, et devront être accordées sur la base d’un avis scientifique.
Au total, elles ne concerneront qu’environ 1,5 % de la surface agricole utile, l’acétamipride demeurant interdit sur près de 99 % du territoire agricole. Enfin, les défenseurs de la loi appellent à entendre le désarroi des agriculteurs français confrontés à une concurrence européenne moins contraignante, alors même que les consommateurs achètent ces productions issues de pratiques interdites en France.
Arguments des opposants
Face à cela, une coalition de scientifiques, médecins, associations environnementales et syndicats alternatifs alerte sur les impacts massifs des néonicotinoïdes comme l’acétamipride sur la biodiversité et la santé, bien documentés par la science. Ces substances sont liées à des troubles neurologiques, des malformations congénitales, une augmentation possible du risque d’autisme, et réduisent fortement les populations d’insectes non ciblés, fragilisant les écosystèmes.
La coalition critique aussi la loi Duplomb, qui affaiblit l’indépendance de l’Anses en la plaçant sous tutelle politique et qui met la police de l’environnement sous tutelle préfectorale, désarmant ainsi les outils de contrôle.
Au-delà des pesticides, la loi facilite la création de mégabassines, malgré les risques pour les nappes phréatiques et les zones humides. Elle relève aussi les seuils à partir desquels les exploitations doivent se soumettre à des obligations environnementales, favorisant le développement des fermes-usines et mettant en difficulté les petites exploitations. Pour ses opposants, la loi Duplomb incarne un choix politique en faveur d’un modèle agricole productiviste, au détriment de la santé publique, de la biodiversité, de la gestion durable de l’eau et des pratiques agroécologiques.
Conséquences sur le “faire ensemble”
Cette controverse témoigne exactement du mécanisme décrit plus haut : face à une angoisse collective (ici la crise agricole), le réflexe immédiat est de suspendre le doute, d’écarter les voix critiques et de rechercher des certitudes prêt-à-porter.
- Le débat public est verrouillé : en recourant à une motion de rejet préalable, l’Assemblée nationale a court-circuité la discussion parlementaire ordinaire, réduisant la controverse à une simple opposition binaire.
- Les positions se cristallisent en camps irréconciliables : “pro-agriculteurs” contre “écologistes idéologues”, chaque parole est aussitôt disqualifiée selon son origine perçue, sans écoute réelle des arguments de fond.
- La science elle-même est instrumentalisée : tantôt convoquée comme argument d’autorité (“suivez la science”), tantôt discréditée comme entrave à la compétitivité, elle perd sa valeur critique, dialogique, méthodologique.
Ainsi, la loi Duplomb devient pour moi un miroir contemporain : j’y vois comment l’angoisse de la finitude — ici sociale, économique, écologique — peut précipiter la recherche de certitudes autoritaires qui étouffent la pensée collective. Et c’est bien là, à mes yeux, le cœur du problème : au lieu de prendre appui sur le doute comme ressource partagée, nous en faisons parfois un prétexte pour fermer les discussions, marginaliser la complexité, éliminer la nuance — tout ce qui précisément permet de bâtir du commun.
Mais je perçois aussi autre chose, plus souterrain, presque inavouable : j’ai l’hypothèse que ce type de décision publique répond à un besoin profond d’accumuler toujours plus — plus de surfaces exploitées, plus de production, plus de rendement — comme si la dynamique d’accumulation pouvait atténuer l’horreur intime que j’éprouve, que nous éprouvons peut-être tous, face à la perte, face à l’idée de mourir.
J’y vois une manière de conjurer l’angoisse fondamentale : croire qu’en possédant toujours davantage, en capitalisant sans fin, on pourrait repousser symboliquement l’expérience de la finitude. Et je reconnais dans ce mouvement quelque chose de très humain, mais aussi de très dangereux : masquer notre vulnérabilité radicale derrière une illusion de maîtrise, faire de la croissance matérielle une prothèse imaginaire contre la perte — y compris la perte de soi. Ici, très concrètement, la réintroduction des pesticides nommés — acétamipride et flupyradifurone — va nous faire perdre davantage encore : elle appauvrira la biodiversité, mettra en péril notre santé et contribuera à rendre un peu moins viable cette planète que nous avons abîmée et que nous continuons d’abîmer au nom du capital, comme si le capital était devenu l’alpha et l’oméga de toute chose.
Ce qui est en jeu n’est donc pas seulement une loi technique, mais un imaginaire tout entier : celui qui voudrait que l’accumulation puisse racheter notre condition mortelle, en oubliant qu’en creusant ce sillon, nous mettons collectivement en péril le vivant lui-même.
Ce constat appelle une dernière question, adressée à chacune et chacun : qu’en faisons-nous, personnellement ?
Car derrière les décisions collectives, il y a toujours des choix singuliers, intimes, des postures individuelles qui nourrissent — ou non — l’espace commun. Et vous, où en êtes-vous ?
Comment vivez-vous ces tensions entre le besoin de certitude et la fécondité du doute ? Comment cultivez-vous cette capacité critique sans céder à la tentation de tout rejeter ni à celle d’adhérer trop vite ? Quelle place donnez-vous, dans vos conversations — y compris les plus ordinaires, y compris lorsqu’elles touchent aux questions les plus sensibles du vivre ensemble — à la vérification, à la nuance, à l’écoute réelle de ce qui diffère ?
Ce n’est pas une injonction, mais une invitation : chacune, chacun d’entre nous a, en soi, les ressources pour accueillir ces tensions, pour rester attentif à la complexité, et pour refuser les réponses toutes faites sans tomber dans le soupçon généralisé.
Peut-être est-ce là, aujourd’hui, un petit acte politique quotidien : tenir ensemble doute, nuance, critique et confiance — pour préserver la possibilité de bâtir du commun vivant.
Christine Jeudy | Psychanalyste | Besançon